Le grand talent de Xavier Patier s’est exprimé avec autant de bonheur dans des essais (voir le récent La confiance se fabrique-t-elle ?), des récits comme Le Château absolu et des romans, à l’instar de Chaux vive sorti en 2012. Début des années 90, à Bordeaux, Pascal est le « le plus sauvage des étudiants ». Il vit « dans le dénuement matériel et le feu intérieur », ne quittant ses cours d’archéologie que pour assister à la messe quotidienne de six heures et demie avant de rejoindre sa chambre dans un taudis. Les fins de semaine, il retrouve le village familial, non loin de Périgueux, où les siens vivent presque aussi chichement que lui. A l’université, cet étudiant qui n’a pas d’amis et que « personne ne remarque » va cependant attirer l’attention d’Aubin, comme lui étudiant en archéologie, mais âgé de trente-deux ans, marié et père de deux enfants en bas âge. Le charismatique Aubin vit dans les beaux quartiers, fréquente les familles de la bourgeoisie locale et prend sous ses ailes le timide camarade. Ce « bourgeois de la nouvelle espèce, libertaire et technologique » fait résonner dans son sillage le « ricanement conquérant et cynique » de ceux auxquels l’avenir appartient. Négligeant sa femme Marie, de dix ans sa cadette, Aubin est obnubilé par ses projets d’entrepreneur et la volonté de gagner de l’argent. Avec la société qu’il a créée, il veut noter sur un serveur Minitel les hôtels et restaurants de la région. Alors que les économies de son épouse et les investissements de ses amis ne suffisent plus, Aubin propose à Pascal de participer à l’aventure…
Âpre et lumineux
Chaux vive de Xavier Patier (prix Chardonne pour Reste avec moi, prix Nimier pour Le Silence des termites) n’est pas seulement le récit d’une attraction, d’une séduction, dont l’issue tragique (annoncée notamment par les pseudos activités d’Aubin pour les services américains de lutte contre le trafic de drogue…) ne fait guère de doute. Le romancier dresse le portrait d’une âme simple partagée entre des aspirations contradictoires, à l’image de son rôle de confident que le solitaire contrarié remplit à la fois pour Aubin et sa femme. Confronté à des contemporains s’abreuvant « au culte des corps, des plaisirs maîtrisés et de l’écologie, de l’animalité », Pascal sait s’être trompé d’époque et ne se fait pas d’illusion sur le peu d’espérance que portent les temps où nous sommes.
Si l’on songe avec Chaux vive à Mauriac (et pas seulement à cause du décor bordelais), c’est surtout du côté de Bernanos que tend ce roman à la fois âpre et lumineux sur l’incompréhension, la souffrance et le désir de salut. Il y a encore chez Xavier Patier de belles pages sur ceux que Pierre Sansot nomma « les gens de peu », une acuité psychologique et des échappées poétiques.