Le dernier livre d’Yves Charnet, paru au printemps, fait entendre un écho particulier aux lecteurs toulousains car ce « libraire de Gambetta » (comprendre « rue Gambetta ») n’est autre que Christian Thorel, figure de proue et grand architecte de la librairie Ombres Blanches. L’auteur de Proses du fils signe ici une sorte de déclaration d’amitié, comme il y a des déclarations d’amour, mais ce récit buissonnier est également un autoportrait sans complaisance. Voici donc les confessions d’un « petit bâtard des bords de Loire » explorant sa mémoire, rendant hommage à ses maîtres (écrivains, chanteurs, poètes, acteurs…), se souvenant de ses amours tel un soldat vaincu.
A travers Thorel, son « anarchisme malicieux », sa « bienveillance pudique », les rires, les silences et les aveux chuchotés liant à jamais les frères d’âme, Yves Charnet ressuscite d’autres présences tutélaires comme Denis Tillinac (qui fut longtemps son éditeur) et Claude Nougaro auxquels il consacre des pages sensibles, sans pathos, drôles et touchantes.
Jardin secret
Exilé de l’intérieur dans une époque bête et méchante, l’écrivain rassemble antidotes et rations de survie : des chansons, des films, des livres bien sûr. « Ils constituent, depuis toujours déjà, mon jardin secret. Mon lac intérieur. Leur simple présence m’apaise. Le matin comme le soir. Ils sont les fidèles sentinelles de mon royaume imaginaire. Les sobres coffrets de mes trésors chimériques », écrit celui qui revisite des mythologies très françaises et par là même universelles.
Il y a un subtil équilibre entre joie et mélancolie dans ce texte vibrant, émouvant, blessé avec discrétion.
« Quel est celui qu’on prend pour moi ? », se demandait Aragon. A son tour, Yves Charnet reprend la quête du poète et trouve peut-être un début de réponse auprès de son cher Nougaro : « J’aime la vie quand elle rime à quelque chose. Rimes ou proses. J’aurai cherché ça toute ma vie. La prose en rimes. » Fidèle à d’autres ombres à jamais, il pourrait aussi faire sienne la tirade de Jef Costello / Alain Delon dans Le Samouraï : « Je ne perds jamais. Jamais vraiment. »
Le libraire de Gambetta • Tarabuste