Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Adios, Ma dernière séance, Et maintenant, voici venir un long hiver… : les titres des livres de Thomas Morales disent déjà beaucoup de la géographie sentimentale et littéraire de cet écrivain à la mémoire longue. Son dernier ouvrage, Monsieur Nostalgie, apporte une nouvelle pierre à une œuvre qui revisite le passé avec un œil amoureux et reconnaissant. La nostalgie n’est pas encore un crime comme dans le 1984 d’Orwell et Morales en profite, se souvient des belles choses, regarde dans le rétroviseur pour retrouver des éclats de ce qui n’est plus. Sous la plume de ce styliste qui a appris à écrire en lisant Kléber Haedens et Antoine Blondin, la nostalgie prend donc une majuscule.
Aux fanatiques jurant par principe que ce sera mieux demain, il oppose des attachements, des fidélités, des filiations. Réfractaire en veste de tweed et cravate en laine, enfant de la province et parisien d’adoption, l’auteur de Paris-Berry, nouvelle vague feuillette son album d’images, plonge dans sa malle aux souvenirs.
Le panache des écorchés
Littérature, cinéma, chanson, objets ou paysages éternels s’invitent au fil de chroniques mariant « la blague et l’absolu », le plaisir des retrouvailles et celui du partage. Amoureux du cinéma de Jean-Paul Belmondo et de Philippe de Broca (auxquels il a consacré des exercices d’admiration), Morales célèbre les monstres sacrés comme les seconds rôles, les icônes comme les starlettes oubliées. Du côté des écrivains, sa panoplie rassemble des stylistes (René Fallet, Alphonse Boudard, Alexandre Vialatte…) indémodables à mille lieux des produits standardisés dont on nous abreuve. Le Tour de France, le Solex ou la Renault 4 (la « 4L ») ont leur place dans ce florilège de réminiscences.
Sans surprise, la France des Trente Glorieuses renaît entre les pages, mais Morales étend même sa nostalgie jusqu’à celle des années 1980, époque où tout bascula : « Sans le savoir, nous étions à la croisée de l’informatique triomphante et de la téléphonie murale, des géants de papier et de la dématérialisation des services, de la fin du bottin et d’une existence entièrement googlisée. » Il y a du Sempé dans le regard de Morales qui préfère sourire du spectacle du monde et payer ses dettes plutôt que d’emprunter la rage des imprécateurs. Si notre homme confesse que l’automne est sa saison préférée, sans doute parce que ses couleurs épousent « le panache des écorchés », on peut le lire sous le soleil de juin et au cœur de l’été.