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« La Molvanie » de Santo Cilauro, Tom Gleisner et Rob Sitch

by Léa Vergès

Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.

Alors que les vacances d’été approchent avec leurs grandes transhumances, certaines destinations méritent d’être découvertes. Ainsi, la Molvanie, objet d’un guide publié en France en 2006 et réédité en 2021 (ce qui montre la curiosité suscitée par ce pays frontalier de la Slovaquie). Membre à titre conditionnel de l’Otan et bien notée par le FMI, la petite république est aux portes de l’Union Européenne malgré quelques motifs de discussion retardant le processus d’intégration (parmi lesquels l’attachement des Molvaniens à des coutumes désuètes tel que l’envoi de sorcières aux bûchers).

Vue de la ville de Gyorik en Molvanie

Le premier mérite de cet ouvrage plein d’empathie est de déjouer certains clichés vivaces. «Aujourd’hui encore, on présente les Molvaniens comme étant acariâtres, colériques et violents. Ce n’est que partiellement exact. Dans le fond, plein d’un humour typiquement slave, le Molvanien aime à s’amuser », précise opportunément le trio d’auteurs australiens. Bien sûr, les différences culturelles – qui sont aussi des richesses – peuvent parfois être gênantes. Ainsi, la langue molvanienne est classée comme l’une des plus difficiles à apprendre et réclame près de seize années d’étude notamment parce qu’un même mot peut être « à la fois un compliment et une insulte, selon la gamme dans laquelle il est vocalisé. »

Molvanie, terre de contrastes

Plus que sa langue, la Molvanie séduit à la lecture de ce guide par son patrimoine touristique, sa culture ou ses incontournables particularités gastronomiques. Au-delà de la capitale Lutenblag, de plus en plus fréquentée par les touristes occidentaux, la ville de Vajana située dans les Alpes molvaniennes excite la curiosité. Cette cité, où l’on trouve l’authentique cuisine rustique de Molvanie (dont le gerbmec, potage riche et épais mêlant foie et abats), est au cœur d’une région vinicole produisant un unique riesling rouge. Le cépage le plus fameux, l’amersauvignon, aiguise les papilles : « Les œnologues peinent à en décrire le goût ; la plupart évoquent le zeste de citron fermenté. » Un breuvage sans doute plus subtil et racé que la boisson nationale, le zeerstum, « mélange de vodka et de carburant pour avions », ou des multiples liqueurs à base d’ail qui font la fierté du pays.

Sur le plan culturel, si Vajana propose un instructif musée médiéval de la Dentisterie (visite guidée de 150 minutes), le bourg de Bardjov, sur les steppes orientales, s’enorgueillit de posséder le plus grand égout de toute l’Europe que l’on peut traverser en barque (trois heures de balade du centre-ville au bassin de retenue). Comme souvent, mieux que l’avion (nombre de compagnies et d’aéroports sont jugés peu fiables) ou que les bus (sujets à de fréquentes attaques à main armées), la voiture individuelle reste le moyen le plus agréable de découvrir la Molvanie malgré des voies de communications souvent sommaires.

De Gyorik et son réacteur nucléaire (l’un des plus anciens au monde) à Llubova et son impressionnante variété de restaurants parmi lesquels le prestigieux Zjez Zjev qui accueillit en 2001 Tony Blair (lors d’une visite d’une délégation européenne sur l’origine de la fièvre aphteuse), la Molvanie déploie ses tentations sans ostentation avec un sens de l’authenticité que n’a pas (encore) dénaturé le tourisme de masse. Très honnêtement, ce guide précis et scrupuleux informe le lecteur de quelques précautions utiles (les nombreux vaccins absolument indispensables, les insectes ou animaux à éviter à l’image du mastiff de Molvanie – un chien particulièrement fourbe et inamical) et d’astuces toujours bonnes à savoir (« En Molvanie, un verre d’eau du robinet contient 80 % des besoins annuels en métaux rares et en bactéries E »).

On aura compris que cette riante Molvanie est le fruit de l’imagination facétieuse de Santo Cilauro, Tom Gleisner et Rob Sitch renouant ici avec l’esprit potache du journaliste français Alain Mellet qui attira en 1929 l’attention de quelques députés naïfs sur le sort tragique des Poldèves. La Poldavie fut ensuite perpétuée sous forme de clin d’œil par Raymond Queneau, Marcel Aymé ou encore Hergé qui en fit une voisine de sa tout aussi imaginaire Sylvanie… Les pays et royaumes imaginaires sont souvent les plus beaux. La Molvanie n’existe pas ? Vive la Molvanie !

Christian Authier

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