Sébastien Vincini a 30 ans lorsqu’il entre au Conseil municipal de Cintegabelle en 2008, une commune dont ce natif de la Ville rose est élu Maire en 2020. L’année suivante ce petit-fils d’immigrés italiens devient Vice-président du Conseil départemental. La démission de Georges Méric propulse cet Ingénieur Maître Géosciences à la Présidence de l’Assemblée départementale en décembre 2022.
Bien que Sébastien Vincini se soit distingué auparavant dans des missions portant sur l’Eau, les Risques naturels, l’Environnement, les Finances, le Numérique et l’Innovation, Culture 31 s’est entretenu avec lui sur un tout autre thème, celui de la Culture.
Rencontre.
Culture 31 : Quelle est votre définition du mot Culture ?
Permettez-moi de paraphraser Malraux, qui disait « La Culture… ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ». Pour moi, la Culture est avant tout un formidable vecteur d’émancipation.
Sous quelle forme la Culture fait-elle partie de votre vie personnelle aujourd’hui ?
Je suis issu d’un monde ouvrier dans lequel la Culture se limitait parfois aux magazines télé. Jusqu’à ce que l’Education nationale, au travers des rencontres qu’elle m’a offertes, m’ouvre à d’autres univers. Ce fut pour moi très tard en définitive. Ayant fait latin et grâce aux voyages scolaires, j’ai découvert l’Italie et bien d’autres lieux. Les peintres de la Renaissance italienne m’ont complètement ébloui. Mais, pour tout vous dire, je suis fan de culture pop, du cinéma de Marvel et de DC Comics. Je connais parfaitement la saga Star Wars. Avec mes enfants nous ne manquons aucun blockbuster du genre au cinéma. Je peux aussi revoir en boucle Le Goût des Autres ou Un Air de Famille.
Tout cela, je le sais, appartient à ce que certains nomment la Culture populaire. Mais je l’assume complètement. En fait je suis un fou de cinéma. Etant en même temps très curieux dès que j’ai la possibilité je vais découvrir de jeunes artistes, peintres ou sculpteurs. Musicalement je suis assez nomade, de Chopin aux guitares les plus saturées actuelles. J’ai un grand attachement pour le festival Piano aux Jacobins et les Grands Interprètes que le Conseil départemental soutient.
Comment intégrez-vous la Culture dans votre politique départementale et quel rôle profond lui donnez-vous ?
Elle est un pilier fondateur de l’émancipation de l’Homme, au même titre que l’Éducation. C’est la seule chose qui dépasse tous les clivages et qui fait que l’on peut construire une société du vivre ensemble. Je lui accorde donc une place capitale, m’inscrivant en cela dans la droite ligne de mon prédécesseur Georges Méric, même si j’ai une approche sensiblement différente. La capacité de la culture à incarner des valeurs communes est tout aussi fondamentale que son rôle en faveur du lien social dans les territoires.
C’est la vision que nous défendons au Conseil départemental par notre attachement réaffirmé à une présence forte de la Culture dans la vie des habitants, où qu’ils résident sur le territoire haut-garonnais. Depuis 2015 notre budget dédié à la Culture est en constante augmentation. Renouveler notre soutien aux acteurs culturels et aux manifestations culturelles constitue pour nous un acte politique fort. Ce qui ne nous empêche pas de nous réinterroger en permanence sur ses attributaires de manière à nous ouvrir à la nouveauté.
Quels sont les moyens financiers (budget) et logistiques (lieux) dont vous disposez ?
Nous consacrons près de 10 millions d’euros à la Culture. Nous avons une programmation artistique que nous gérons en direct, dont le festival 31 notes d’été, un festival itinérant dans toute la Haute-Garonne, particulièrement riche et diversifié qui nous permet de faire s’exprimer de jeunes créateurs, des artistes au présent et en devenir. Comment ne pas citer également le festival Jazz sur son 31 qui est bien inscrit aujourd’hui dans le paysage culturel de notre département et au-delà d’ailleurs. Sans oublier le festival des Cultures urbaines. Nous travaillons aussi beaucoup sur notre patrimoine et sur la mémoire. Nous gérons 10 lieux culturels, dont 5 musées. Puis, nous avons réalisé une importante rénovation architecturale et muséographique du Musée départemental de la Résistance & de la Déportation, devenu aujourd’hui une référence régionale et nationale sur ces thématiques.
Nous tenons également à la mise en valeur de nos Archives départementales comme des joyaux patrimoniaux du département que nous nous efforçons d’ouvrir au public avec une riche programmation culturelle, en particulier dans le Comminges. Je pense au très beau travail des musées archéologiques départementaux de Saint-Bertrand de Comminges et de l’Aurignacien, mais aussi à la réouverture récente de l’Abbaye de Bonnefont avec un nouveau projet culturel. Et bien sûr le superbe Château de Laréole qui accueille chaque année des expositions d’artistes de renommée nationale et internationale, et compte désormais une étoile au Guide Vert Michelin.
L’Espace Roguet, dans le quartier Saint-Cyprien, est un lieu important dans notre action que nous avons choisi de dédier en grande partie aux résidences d’artistes, en raison du manque de lieux de création à Toulouse et dans le département. Tous ces sites sont extrêmement fréquentés. Nous avons au Conseil départemental une Direction des Arts vivants et visuels, qui programme et planifie en direct de nombreux événements. Vous l’avez compris notre action est loin de se concentrer sur Toulouse. Nous irriguons tout notre territoire et, faut-il le rappeler, nos festivals sont gratuits pour la plupart de manière à ce que l’aspect financier de la Culture ne soit plus un frein à son accès. Nous prenons le public par la main pour franchir le premier pas vers la Culture et nous constatons qu’après l’argent n’est plus un véritable obstacle.
Qu’en est-il de l’enseignement artistique dans vos actions ?
Nous accompagnons les associations et les collectivités qui portent des projets culturels pédagogiques. Vous savez que le Conseil départemental a la responsabilité des collèges. Beaucoup de nos homologues s’occupent donc des murs, de la cantine parfois et des espaces verts. Ici nous allons beaucoup plus loin. Nous organisons des programmes d’éducation artistique et culturelle à disposition des équipes pédagogiques des collèges. J’étais hier dans le bureau du Ministre de l’Education nationale. D’après lui, nous sommes l’une des rares collectivités qui assument des compétences par la loi. Nous avons neuf parcours différents qui vont de la danse à l’expression orale en passant par le cinéma, le jazz, la bande dessinée, le théâtre etc. Je voudrais bien que l’on y ajoute l’enseignement circassien. Pourquoi ce dernier point ? Parce que c’est un art qui croise admirablement le Sport et la Culture. Qui plus est nous avons d’excellents professeurs aussi dans ce domaine.
Vos principales actions récurrentes ?
J’en ai déjà cité quelques-unes en particulier en termes de festivals. Mais j’en profite pour préciser une nouveauté liée à ce qui est entré dans l’Histoire sous le nom de Retirada, c’est-à-dire l’exil des Espagnols républicains en France. C’est la troisième année que nous organisons une manifestation commémorative de cet événement. Je souhaite l’élargir à une semaine voire plusieurs dates annuelles pour célébrer aussi tout l’apport en Haute-Garonne de la Culture ibérique.
En fait mon désir est de bâtir un événement autour d’une idée, celle de la « Haute-Garonne terre d’asile ». Car nous n’avons pas accueilli que des Espagnols, les Italiens, les Nord-Africains et les Kurdes ont toute leur place dans ce projet autour de la richesse liée à la mixité des cultures. Avec 17 000 nouveaux arrivants sur le département par an, il faut bien se rendre compte que la Haute-Garonne et Toulouse en particulier, n’est pas qu’un simple eldorado économique autour de l’aéronautique. C’est une terre d’accueil, tout simplement.
Certains pensent qu’en cette période difficile économiquement, et contrairement au Sport, la Culture serait un luxe superfétatoire…
C’est effrayant ce que vous dites ! Lionel Jospin affirmait que la Culture est l’âme de la Démocratie. La Culture c’est ce qui nous éveille aux autres et évite le repli sur soi. Freiner la Culture c’est donner un coup d’accélérateur à l’ignorance. Je suis d’accord avec vous sur l’environnement économique actuel, mais je peux vous dire que je m’attacherai chaque fois à trouver les bonnes réponses, peut-être adaptées, certes, mais des réponses tout de même. La Culture n’est pas une affaire d’entre-soi, c’est le quotidien de tout le monde. Personnellement je soutiendrai toujours une politique volontariste dans le domaine culturel.
Quel est le devenir de votre politique culturelle et quels sont vos grands projets ?
Notre grand projet, je vous en ai parlé tout à l’heure, c’est celui de célébrer notre Département comme une véritable terre d’accueil, entendons-nous bien, en dehors de tout sentiment de repentance ou de choses similaires. Je n’ai pas à vrai dire d’idées arrêtées. Je suis, comme mon prédécesseur George Méric a eu l’élégance de le dire, dans une continuité adaptative. Cela veut tout dire. Par exemple, notre schéma d’enseignement artistique au sens large du terme date de 2006. Il est évident que je vais l’adapter aux besoins du moment en allant plus loin dans cet accompagnement. Je suis persuadé que l’État nous aidera dans cet effort de révision.
Afin de permettre aux plus jeunes d’entre nous, dès l’école de découvrir l’Art et la Culture, je souhaite faire de l’éducation artistique et culturelle (EAC), l’une de mes priorités d’action. Déployer une politique forte en matière d’EAC permettrait, via les collèges, d’être présent sur tout le territoire de Haute-Garonne, et de permettre un accès direct à la culture à nos 67 000 collégiens.
Vous avez déposé un dossier concernant le site de l’ancienne prison Saint Michel…
Effectivement. Mais nous ne sommes pas les seuls. C’est un lieu emblématique de Toulouse. Il ne faut pas le laisser entre les mains de promoteurs. Dans cette affaire, tout le monde doit y trouver son juste compte, y compris l’Etat, propriétaire, qui ne peut consentir à perdre de l’argent. Notre projet est d’en faire un lieu de vie, à la confluence de plusieurs quartiers historiques : le Busca, Saint-Agne, Empalot. Notre souhait est d’y construire non seulement des logements mais aussi un nouveau collège, car il en manque sept à Toulouse. Il n’est pas question pour nous de reprendre l’idée, abandonnée par d’autres d’ailleurs, de construction d’un grand auditorium. Par contre nous avons inclus dans nos plans un lieu de diffusion du spectacle vivant d’une jauge tournant autour de 400/500 places. Ce pourrait être un lieu de résidence artistique.
Pour plaisanter, mais à moitié, puisque tout à l’heure nous parlions tous les deux de Star Wars, si j’avais à m’incarner dans l’un des personnages de cette saga, ce serait celui d’Obi Wan Kenobi, celui qui accompagne.
Propos recueillis par Robert Pénavayre