Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Ecrivain précoce (il publia son premier roman à l’âge de dix-huit ans en 1972), éminent éditeur (notamment au Seuil, chez Fayard et Stock), Jean-Marc Roberts (1954-2013) obtient le prix Renaudot en 1979 pour Affaires étrangères que Pierre Granier-Deferre adapta au cinéma avec le remarquable Une étrange affaire. Débarrassé donc très tôt d’une quelconque quête de reconnaissance, Roberts put ainsi donner libre cours à ses envies romanesques. La preuve avec Cinquante ans passés, sorti en 2006, qui demeure l’une de ses plus belles réussites.
Ils sont trois, comme les mousquetaires qui étaient quatre. Il y a Richard, Jean-Louis et le narrateur. Ils vont débarquer à la soirée anniversaire de Gavotti à Enghien-les-Bains à la manière d’invités surprise. Pour les trois larrons, il s’agit plus de se retrouver que de faire plaisir à ce type qui ne représente qu’une photo jaunie : « À l’époque, Gavotti a dû rêver qu’il serait le quatrième et ça n’a pas collé. Gavotti a quitté Carnot après la seconde. Lui, ça fait plus de trente-cinq ans qu’on ne l’a pas revu. Il ne nous a pas manqué. Juste un ancien du lycée. » Puis, dans la voiture, changement de cap. Direction Calais et l’Angleterre, éternelle terre promise pour ceux qui ont grandi avec la naissance du rock : « Tout ce qu’on a raté, jamais écouté ensemble. Nous nous sommes perdus quatre ans après la séparation des Beatles, on se retrouve l’année où Brian Wilson publie enfin son album Smile. » Mariages, enfants, divorces et occasions perdues sont passés par là.
Les copains d’abord
Dès les premières pages de Cinquante ans passés, nous sommes en territoire connu, celui de ces films de retrouvailles que les personnages s’amusent d’ailleurs à recenser : Nous nous sommes tant aimés, Les Copains d’abord, Peter’s friends… Jean-Marc Roberts s’ébroue avec un plaisir juvénile dans les microsillons du « Que sont mes amis devenus, Que j’avais de si près tenus » dont la complainte aurait été remplacée par la légèreté sucrée de mélodies pop des sixties. L’envie de faire des farces croise le souvenir du comédien Teddy Vrignault, disparu sans laisser de traces depuis plus de vingt ans. En évoquant notamment la figure de celui qui formait avec André Gaillard les Frères ennemis, Cinquante ans passés distille des accès de mélancolie.
Où sont tous ces gens, familiers ou inconnus, qui nous accompagnaient ? Comment retrouver cette « vie sans tracas » quand personne ne s’était encore absenté ? Des coups de fil dans la nuit et des messages sur des répondeurs tentent de contrarier l’inquiétude de cœurs qui battent toujours malgré les désillusions et les blessures. Sur cette virée à la fois drôle et triste passent des ombres et des fugues que l’écrivain esquisse sans s’attarder. Cent petites pages, presque rien. Comme une longue lettre ou une chanson de trois minutes trente.
Il y a entre les lignes de ce livre aussi délicat qu’une boîte à musique une ambiance et des personnages que l’on n’oublie pas. Évidemment, les compères n’iront pas en Angleterre car les plus beaux voyages sont toujours ceux que l’on imagine. Un pas de côté, un léger décalage suffit pour que l’échappée soit belle. « On a failli pleurer, on aurait pu », conclut le narrateur, mais c’est sur un sourire las et tendre que l’on quitte Cinquante ans passés. Le sourire élégant de ceux qui voyagent le bagage léger et le cœur lourd.
Jean-Marc Roberts, Cinquante ans passés, Éditions passées.