Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Eve de Joseph L. Mankiewicz
« Tout sur Eve », promet le titre original du film ainsi que la voix off accompagnant la scène d’ouverture au cours de laquelle Eve Harrington reçoit un prestigieux prix la consacrant meilleure actrice de théâtre de l’année. La voix est celle d’Addison DeWitt, critique redouté et mordant. D’autres personnages prendront le relais via des flashbacks pour retracer non pas la vie entière de la comédienne ni révéler tous ses secrets, mais pour évoquer sa fulgurante ascension professionnelle. Voici donc l’histoire d’une jeune femme, ingénue, meurtrie par la vie, dont l’amour du théâtre l’amène un soir à rencontrer dans sa loge la star Margo Channing. Timide, humble, dévouée, l’admiratrice transie s’impose comme l’assistante idéale de la diva autoritaire, légèrement méprisante et vieillissante. Cette fausse ingénue, parfaite, si parfaite, trop parfaite, va rapidement avancer ses pions et abattre ses cartes auprès de Margo et de ses proches.
Si Eve se déroule dans le monde du théâtre, c’est évidemment celui du cinéma qu’épingle ici Mankiewicz et sur lequel il reviendra quatre ans plus tard avec La Comtesse aux pieds nus dont la construction et la narration sont voisines. Le metteur en scène, également scénariste, nous entraîne dans les coulisses et montre un envers du décor peu reluisant où la jalousie, l’envie, le mensonge, la manipulation, le chantage font la loi.
Casting de très haut vol
Comme toujours, Mankiewicz dirige un casting de très haut vol et celui d’Eve voit Bette Davis et Anne Baxter tenir sans doute leurs plus beaux rôles quand George Sanders, éblouissant de cynisme et véritable démiurge de cette comédie humaine, demeure inoubliable. Les seconds rôles sont remarquables à l’image l’image d’une quasi inconnue nommée Marilyn Monroe. Les bons mots et les formules des personnages fusent comme des balles en servant la mécanique parfaite du récit qui se déploie avec sophistication et élégance. Le spectateur pense souvent avoir un coup d’avance. Mankiewicz ménage des surprises à l’instar de la scène finale d’une cruelle ironie.
« On trouve toujours plus fourbe que soi » pourrait être la « morale » d’Eve, tableau grinçant de l’industrie du spectacle et du star system. Ce regard implacable n’empêcha pas le film de Mankiewicz de décrocher six Oscars (dont ceux du meilleur scénario, du meilleur film et du meilleur réalisateur) en 1950. Comme si Hollywood avait reconnu la pertinence du diagnostic…