Les chemins du Vingtième rugissant
Jeudi 15 décembre, 20h à la Halle, ce sera pratiquement tout XXè siècle avec Thomas Adès, Serge Rachmaninov et Igor Stravinski. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse est placé sous la direction du chef Dima Slobodeniouk. Quant au soliste, c’est le pianiste Lukas Geniušas, découvert à Piano aux Jacobins en 2015.
Le programme est le suivant :
Thomas Adès
Three-piece suite from Powder her face.
Ouverture
Valse
Finale
Durée : 12’
Serge Rachmaninov
Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineur, op. 30
Allegro ma non tanto
Intermezzo : Adagio – attaca :
Finale : Alla breve
Durée : 40 à 45’
Igor Stravinski
L’oiseau de feu – version originale pour ballet de 1910 avec introduction puis les 19 numéros.
Durée : 45 ‘ environ
On peut remarquer que le Concerto et le ballet – ces deux œuvres monumentales – sont complètement contemporaines, créées le 29 novembre 1909 et le 25 juin 1910.
Dima Slobodeniouk
Il est pour la première fois à la Halle à la tête de l’OnCT et ce, dans un programme que l’on peut qualifier de conséquent, tel qu’il est présenté. Ce chef finlandais d’origine russe, né à Moscou, a étudié le violon à l’École centrale de musique de Moscou puis au Conservatoire de Finlande centrale ainsi qu’à l’Académie Sibelius. Il a étudié la direction d’orchestre à l’Académie Sibelius sous la direction de Leif Segerstam, Atso Almila et bien sûr Jorma Panula, sans cesser d’étudier avec deux autres gourous de la direction d’orchestre, Ilya Musin en Russie et Esa-Pekka Salonen en Finlande. Dans son cas, c’est le luxe ! et l’un, et l’autre.
Poursuivant son travail dans l’enseignement, Slobodeniouk a lancé une initiative de direction d’orchestre avec l’Orquesta Sinfónica de Galicia dont il est le Directeur artistique depuis 2013, offrant aux étudiants la possibilité de travailler sur le podium avec un orchestre professionnel. Exactement la méthode d’un Pamula en Finlande.
Sachons qu’il est aussi appelé, pour diriger des concerts, par les plus grands orchestres aussi bien européens qu’états-uniens, sans compter les grands solistes toutes catégories. Il bénéficie d’un immense atout sachant relier ses racines natales russes à l’influence culturelle de sa future patrie, la Finlande, dont le développement culturel et plus particulièrement musical est exponentiel.
Lukas Geniušas
Jeune pianiste de 32 ans russo-lituanien, né dans une famille de pianistes, il n’a pas hésité dès son adolescence à passer tous les concours qu’il pouvait et se retrouve couronné de deux Deuxième prix dans les concours internationaux réputés de Frédéric Chopin (2010) à 20 ans et de Tchaïkovski (2015). On l’a rencontré aussi invité par le festival Piano aux Jacobins récemment. Sa carrière a très rapidement pris un caractère international. Reconnu pour sa curiosité innée et ses intérêts musicaux étendus, Lukas Geniušas explore un large éventail de répertoires, du baroque au contemporain. Son répertoire s’étend des concertos pour piano de Beethoven aux Ludus Tonalis de Hindemith en passant par les œuvres de John Adams, avec un intérêt fort pour le répertoire russe (Tchaïkovski, Rachmaninov et, bien sûr, Prokofiev). Chambriste passionné et interprète extrêmement curieux, il se plait à travailler de nouvelles œuvres de compositeurs modernes et à ressusciter un répertoire rarement interprété.
Three-Piece Suite from Powder her face
Le Britannique Thomas Adès, né en 1971, s’est taillé d’abord une réputation d’excellent pianiste puis a dévié vers la composition où là, c’est plutôt une une réputation de compositeur irrévérencieux mais subtil qui prend le dessus, avec un langage témoignant d’une rare habileté à détourner les références au profit d’une expression séduisante. Révélé, à 24 ans, par Powder Her Face, un opéra sulfureux, Adès est devenue une figure majeure de la musique contemporaine dans un rôle de « bad boy » qui ne s’est guère assagi au fil du temps. Sachons que le musicien n’est pas du genre extraverti, plutôt avare d’entretiens ou de commentaires sur ses propres compositions. Dans ce monde de la communication, il est dit complètement marginal. Il n’empêche que sa musique pour piano a bien rencontré il y a plus de quinze ans un certain Bertrand Chamayou qui a donné une interprétation fascinante de Darkness Visible et Still Sorrowing à… Cordes-sur-ciel !!
Powder Her Face est un opéra de chambre en deux actes et huit scènes pour quatre chanteurs et quinze instrumentistes, qu’il achève de composer en 2007. C’est un opéra de cent quarante minutes. Par contre, la suite pour grand orchestre isolée, d’une durée de 12’ environ, comporte un énorme effectif orchestral : 3 flûtes (aussi 1 flûte piccolo), 3 hautbois, 3 clarinettes (aussi clarinette [en sib], 1 clarinette en la, 1 clarinette basse), 2 bassons, contrebasson (aussi basson), 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, 3 percussionnistes, harpe, piano, cordes.
Concerto pour piano et orchestre n°3 en ré mineur, op. 30
En 1909, quelques années après que sa carrière de compositeur au point mort ait été relancée par la création réussie de son Concerto pour piano n° 2, Rachmaninov lance sa première tournée de concerts aux États-Unis. Il a 36 ans. Le voyage a été entrepris à contrecœur. Trois mois de concerts presque quotidiens, à la fois comme soliste et comme chef d’orchestre, n’avaient que peu d’attrait, car il ne restait pas beaucoup de temps pour la composition. De plus, il serait privé des moments calmes de sa propriété de campagne avec sa femme et ses jeunes enfants. Pourtant, alors comme aujourd’hui, en musique classique comme en musique populaire, le meilleur moyen de promouvoir sa musique est de la jouer devant le public, et c’est ainsi qu’au début d’octobre 1909, Rachmaninov embarque pour traverser l’Atlantique (15 octobre). Emballé dans ses bagages se trouve le manuscrit d’un nouveau concerto, achevé la semaine précédente, fin de l’été, en Russie, dans sa propriété d’Ivanovka. Pendant le voyage, de plusieurs jours, Rachmaninov pratique la partie solo pour se dégourdir les doigts !
La première eut lieu le 28 novembre 1909, avec Rachmaninov comme soliste accompagné par le New York Symphony Orchestra et son chef Walter Damrosch. Quelques semaines plus tard, on l’entendra à nouveau à New York, cette fois avec le New York Philharmonic sous la direction de Gustav Mahler. Ces deux ensembles se sont disputés le meilleur orchestre de la ville jusqu’en 1928, année de leur fusion pour donner le Philharmonic.
De la nouvelle œuvre, les critiques musicaux de New York avaient beaucoup à dire, dont certains étaient favorables. Le rédacteur musical du New York Herald a déclaré qu’il s’agissait de l’un des « concertos pour piano les plus intéressants de ces dernières années », tandis que l’ auteur du New York Tribune louait l’œuvre pour sa « dignité et sa beauté essentielles ». Les deux critiques le trouvent cependant trop long ! comme Mozart, Rachmaninov le déclarera parfait, ou presque ! ne modifiant presque rien.
En savoir davantage sur le concerto, cliquez ici.
De temps en temps, Rachmaninov fait appel aux “forces spéciales“ de la tonalité en ré mineur, mais pas continuellement, et certainement pas dans les premiers instants. Il commence l’ouverture Allegro ma non tanto avec une douce mélancolie et un thème pour le soliste qui monte et descend en vagues douces. Ce thème réapparaît ici et là comme idée unificatrice dans le premier mouvement, juxtaposé avec d’autres mélodies contrastées. Rachmaninov était rarement à court d’un bon morceau, et ici il respecte cette norme, avec des thèmes allant des humeurs réfléchies au tonnerre grondant.
Ces ambiances radicalement différentes remplissent également le deuxième mouvement (Intermezzo), qui, malgré son tempo généralement langoureux, parvient néanmoins à offrir des nuances d’expression changeantes. Doucement mélancolique au début, avec un rôle prédominant pour le hautbois et des cordes riches, plusieurs minutes s’écoulent avant que le soliste ne les rejoigne, d’abord avec des passages complexes, puis avec un thème lyrique aux allures de chanson. Des transitions plus orageuses apparaissent, mais la majeure partie du mouvement se passe dans une ambiance de réflexion, et Rachmaninov choisit souvent de contraster des passages de piano occupés avec des lignes de bois plus reposantes.
The Finale: Alla breve est un festin d’énergie agitée avec soliste et orchestre toujours en mouvement, conduisant avec détermination dans les dernières pages. Ici, Rachmaninov exige du soliste une diversité de techniques : des passages très complexes, des phrases douces et fluides, ainsi que de puissantes déclarations d’accords. Tout cela aboutit à un irrésistible feu d’artifice. Rachmaninov a oublié qu’il avait de grandes mains et des doigts plutôt longs ! En un mot, tous les pianistes ne peuvent pas jouer ce concerto d’abord par manque de possibilités physiques.
L’Oiseau de feu – TheFirebird
Signalons tout de suite le plus important : ce concert vous donne à entendre la musique de ce ballet dans son intégralité. Hélas, on en profite pour relever l’absurdité des Suites (1911, 1919 et 1945) qui, au concert, entretiennent la popularité du ballet sur la base d’un malentendu fondamental. En effet, on écarte des numéros et finalement, on ruine la structure musicale et dramatique en laissant de côté de magnifiques pages de la partition. Donc, merci pour cette opportunité que vous ne saurez rater.
L’œuvre nécessite un grand orchestre avec de nombreuses percussions. Un certain Pierre Boulez la voit comme l’une des œuvres orchestrales les plus fouillées de Stravinski, déjà marquée par un style très personnel, en particulier par cette vigueur rythmique que l’on retrouvera deux ans plus tard dans Le Sacre du printemps et Petrouchka. Orchestration chatoyante, transparence des lignes, les couleurs orientalistes, certaines tournures mélodiques populaires mais aussi les violences disons, cataclysmiques et les contrastes dynamiques spectaculaires permettent à cette partition d’être parmi les plus immédiatement accessibles du XXè siècle. Il a été écrit : « Stravinski a fait une œuvre de couleurs, un festin de timbres. À 28 ans, il fait preuve d’une beauté mélodique et il est un génial créateur d’épices sonores, de plaisir des sens. Il sait caresser un orchestre pour rendre sa musique directement envoûtante.
Ce ballet en un acte et deux tableaux s’inspire du télescopage de plusieurs contes russes avec pour résultat un récit typique de quête et de transgression, plus russe que russe. Le scénario est dû à moult collaborateurs mais surtout à Michael Fokine, premier danseur et principal chorégraphe de la compagnie, ainsi qu’à Léon Bakst, le responsable des costumes. En outre, la trame, “per aspera ad astra“ (vers les étoiles à travers les difficultés) marque le triomphe du Bien sur le Mal par l’intermédiaire de la pitié (l’acte fondamental de compassion qui pousse le héros, le Prince Ivan Tsarevitch, à relâcher l’Oiseau de feu qu’il avait capturé, oiseau merveilleux, fait d’or et de flammes) et ce, en échange simplement d’une plume pour recouvrer sa liberté, mais une plume magique. Ce présent va permettre au Prince d’une part, de se délivrer des griffes de son futur beau-père, Kastchei, un sorcier un brin hostile qui exécute une danse “infernale“ envoûtante, et d’autre part, de pouvoir épouser la princesse convoitée. Un Prélude sert d’Introduction qui sera suivi d’un découpage en 19 numéros.
L’œuvre qui marqua l’envol médiatique d’Igor Stravinski a été créée triomphalement le 25 juin 1910 à l’Opéra de Paris par les Ballets russes de Serge Diaghilev. Gabriel Pierné dirige. Elle propulsa sur le devant de la scène internationale le jeune compositeur de 27 ans, alors inconnu hors de la Russie natale. Ceci eut lieu presque par hasard : en effet, Diaghilev, alors au bord de la ruine et à court de répertoire original pour sa nouvelle saison de ballet à Paris ne fit qu’incidemment appel à Stravinski, les autres compositeurs sollicités n’étant pas intéressés pour des raisons diverses. Il avait seulement entendu sa musique avec le Scherzo fantastique et peut-être Feux d’artifice. Il n’avait pas idée alors qu’il commanditait le premier grand ballet symphonique du XXè siècle, prélude à une impressionnante série de chefs-d’œuvre. Diaghilev avait eu, comme on dit, du nez. La collaboration entre les deux hommes a permis de dresser une liste impressionnante d’œuvres majeures du XXè siècle dont Le Sacre sera, à coup sûr, le sommet et ce, sur une période d’écriture s’étendant sur à peine vingt ans. Ou, quand un génie rencontre un autre génie.
Synopsis simplifié (on ne peut détailler numéro par numéro), cliquez ici.
Orchestre national du Capitole
jeudi 15 décembre 2022
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