Les Éléments soufflent leurs 25 bougies. Le chœur de chambre, fondé en 1997, a parcouru un chemin musical notable, abordant aussi bien les répertoires anciens que la musique contemporaine. Cette saison anniversaire célèbre donc cette variété. En parallèle, le nouvel album dévoilé en novembre dernier, « Sérénade d’hiver », est accompagné d’un concept vidéo et d’une tournée régionale. Entre rétrospective et projets d’avenir, Joël Suhubiette, directeur artistique et fondateur des Éléments, s’est entretenu avec Culture 31.
Culture 31 : La saison 2022-2023 marque les 25 ans des Éléments. Vous en êtes à la fois le fondateur et le directeur artistique. Pouvez-vous revenir sur la création du chœur ?
Joël Suhubiette : Le chœur est né en octobre 1997, avec un premier concert au festival Toulouse les Orgues. Nous avions interprété « Requiem » d’Alfred Desenclos – avec orgue – que nous avions aussi enregistré en disque. C’était d’ailleurs notre premier album. Nous sommes partis sur une période avec beaucoup de répertoire a cappella avec piano, avec orgue… Petit à petit, les activités de l’ensemble se sont élargies. Nous avons vite fait de l’oratorio avec orchestre.
Plus tard, l’ensemble a été invité par des chefs d’orchestre qui cherchaient un chœur. Je continuais alors à diriger le répertoire a cappella et l’oratorio. Puis il y a eu une nouvelle époque, environ 10 ans plus tard. Nous avons été demandés pour faire de l’opéra à l’Opéra Comique. Une collaboration qui perdure toujours, puisque nous y sommes au moins une fois par saison, pour des productions scéniques, à Paris. Nous avons donc un éventail d’activités musicales et un répertoire assez larges, qui, au fil du temps, se sont enrichis.
La création contemporaine est d’ailleurs au cœur de l’ADN des Éléments, et le répertoire ancien est aussi mis à l’honneur. Comment définiriez-vous l’identité de l’ensemble ?
De par mes études, j’avais beaucoup étudié la musique ancienne. C’est donc quelque chose qui est évidemment important pour moi. Nous faisons le répertoire baroque, celui de la renaissance, plus tardifs aussi les répertoires classiques et romantiques. Nous faisons tout le répertoire pour ensemble et pour chœur qui existe. C’est fondamental pour moi.
Dès la deuxième année nous avons fait des commandes à des compositeurs. C’est quelque chose que je n’ai jamais arrêté parce que c’est une autre facette de l’ensemble, mais également car il est primordial selon moi de jouer la musique de son temps. Depuis la création, il y a eu des commandes presque tous les ans, même plusieurs commandes certaines années. C’est quelque chose qui fait vraiment partie de l’ADN de l’ensemble aussi. Nous voulons autant défendre le répertoire ancien que nous mettre au service de la création d’aujourd’hui.
En amont de sa création officielle, pour un premier concert (Auch, 1996), le chœur a d’ailleurs interprété « Stabat Mater » de Patrick Burgan, votre première commande au compositeur.
C’était ma première commande en tant que chef. À l’époque, l’ensemble n’était pas encore le chœur qu’il est devenu l’année suivante. Je travaillais avec des élèves du conservatoire, des amis chanteurs, de jeunes professionnels… Mais le statut n’était pas encore professionnel. Il y a donc eu, avant 1997, des prémices. Burgan est le premier compositeur avec qui j’ai travaillé. Il a été le premier à écrire pour le chœur professionnel, en 1998.
Vous allez notamment célébrer l’anniversaire des Éléments avec, en point d’orgue, un concert évènement à la Halle aux Grains. Quel programme avez-vous choisi pour enchanter le public ?
Je voulais un programme qui soit à l’image de l’ensemble ; qui voyage dans les siècles. J’avais très envie de reprendre une pièce que l’on avait fait il y a plus de 10 ans maintenant, avec orchestre. C’est une pièce baroque – le « Dixit Dominus » de Haendel – qui est flamboyante, un vrai feu d’artifice vocal. Très virtuose pour le chœur. Je me suis dit qu’il serait intéressant de construire un programme anglais autour de ça. On va dans la Renaissance avec des pièces de Tallis et de Byrd, qui sont à l’époque les plus importants musiciens de la Chapelle Royale d’Angleterre. Puis évidemment Purcell, que nous avons interprété plusieurs fois et que nous avons beaucoup de plaisir à retrouver, avec des pièces sacrées et une pièce profane, une ode aux musiciens.
Et, à côté de ça, une œuvre du 20ème siècle que nous n’avons jamais donnée, mais qui est aussi un grand classique, « l’Ode à Sainte Cécile » de Benjamin Britten. Une très belle pièce a cappella. Nous parcourons donc Renaissance, baroque, pièce du 20ème siècle… Il n’y aura pas de pièce contemporaine proprement dite du 21ème siècle dans ce programme, mais il y en aura d’autres dans la saison. Nous pouvons en effet retrouver toutes les facettes de l’ensemble au fil de la saison.
Vous avez également imaginé le projet « 25 ans de création ». Quel est le concept ?
Nous avons choisi une dizaine de pièces créées par l’ensemble, au cours des dix dernières années pour la plupart. Tous les mois, une pièce, que l’on peut écouter dans son intégralité, est partagée sur internet. À côté de ça, il y a de la vidéo, avec par exemple une interview du compositeur, un entretien avec le librettiste, une rencontre avec moi, un chanteur ou une chanteuse qui parle de l’œuvre, des traductions, des extraits de la partition… C’est une façon de partager ses créations autrement que par le disque.
En parallèle de ces différents évènements, vous avez justement dévoilé le disque « Sérénade d’hiver », le 18 novembre dernier. Que pouvez-vous nous dire sur l’album ?
La sérénade est le chant du soir, un chant de veillée. Le programme compte notamment de la musique profane, qui parle de l’hiver. L’hiver avec ses joies, les batailles de boules de neige, mais aussi ses rudesses, le froid. Il y a par exemple une pièce de Poulenc, « Un soir de neige », qui se passe pendant l’hiver 1944, au cours de la Résistance, avec les hommes traqués dans les bois. Le disque contient également différentes pièces qui parlent de Noël, de la nativité. Ce sont donc des pièces sacrées qui entrent en écho avec les pièces profanes.
On voyage alors dans cette sphère que l’on a imaginée, allant du début de la Renaissance à la musique contemporaine. Patrick Burgan nous a d’ailleurs écrit un petit cycle, « Chants de neige », avec 5 petites pièces sacrées et profanes sur l’hiver. Autre compositeur avec qui nous avons beaucoup travaillé, Zad Moultaka. Il a aussi écrit une pièce, sur un chant de Noël de Pérotin – musicien de l’école Notre Dame au Moyen-Âge – sur laquelle il a rajouté de la polyphonie écrite selon un texte de Victor Hugo dans « Notre-Dame de Paris ».
Une tournée accompagne la sortie de « Sérénade d’hiver ». Vous donnerez donc différents concerts durant ce mois de décembre 2022, ainsi qu’en janvier 2023. Que représentent ces rencontres avec le public pour vous ?
Le concert, c’est notre raison d’être. C’est notre métier d’aller dans des salles de concert. Là, nous avons voulu faire une tournée sur la région Occitanie, qui va s’étendre en Gironde au mois de janvier, puisque nous irons à Gradignan. L’ensemble a en effet une grande attache à sa région malgré de nombreux voyages dans son parcours, même internationaux.
C’est aussi une tournée de Noël puisque la période et le programme sont adaptés. Le disque vient de sortir, nous interpréterons donc le programme de « Sérénade d’hiver ». Nous avons tout de même laissé la possibilité d’avoir trois ou quatre pièces participatives. Nous aurons par exemple des élèves des conservatoires qui se joindront à nous. C’est une façon de rencontrer le public de demain. Ça permet aussi aux élèves de chant de chorale de rencontrer des professionnels qu’ils n’ont pas forcément l’habitude de côtoyer.
Quelles sont vos aspirations pour la suite de l’aventure des Éléments ?
Beaucoup de choses se sont construites. Il s’agit donc, dans un premier temps, de les pérenniser. Continuer à faire de la création, à défendre le répertoire a cappella. Nous avons déjà des projets à l’opéra, des projets d’oratorio aussi. Je souhaite donc continuer dans cette dynamique en espérant de nouvelles rencontres. Par exemple, en matière de création, beaucoup de choses ont évolué en 25 ans. J’ai eu l’occasion de faire des rencontres avec des personnes venant du jazz, de la musique traditionnelle… Ce sont par exemple de nouvelles facettes à explorer.
Aujourd’hui, les paliers entre les musiques sont moins cloisonnés. Entre musique contemporaine et jazz, nous pouvons les franchir facilement. Et tout cela m’intéresse pour l’avenir. Nous souhaitons rester ouverts et curieux, et embarquer le public avec nous dans cette aventure, avec passion.