Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Faisant partie du cycle des « Six contes Moraux », tournés en 1963 et 1972, Ma nuit chez Maud, sorti en 1969, valut à Eric Rohmer – figure emblématique de la Nouvelle Vague, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma – un succès international et une nomination pour l’Oscar du meilleur film étranger. Rien de plus français pourtant, et à contre-courant de son temps, que ce marivaudage filmé en noir et blanc (superbe photographie de Nestor Almendros) qui offre une variation sur le thème retenu pour les contes moraux : le narrateur, à la recherche d’une femme, en rencontre une autre avant de retrouver la première.
A Clermont-Ferrand, peu avant Noël, Jean-Louis, ingénieur chez Michelin, aperçoit lors d’une messe une jeune femme blonde dont il décide qu’elle sera son épouse. Un soir, il retrouve par hasard un ami de lycée, Vidal, qu’il n’avait pas revu depuis quatorze ans. Le catholique pratiquant et le communiste dissertent sur Pascal et son pari, le hasard et les probabilités, l’amour et le mariage… La conversation se prolongera le soir de Noël chez Maud, une amie divorcée de Vidal, nuit au cours de laquelle Jean-Louis et ses principes seront soumis à la tentation. Le lendemain, Jean-Louis aperçoit une nouvelle fois la jeune femme blonde et l’aborde.
Sophistication et naturel
Après des scènes d’ouverture sans dialogues, notamment quand Jean-Louis se lance en voiture dans une filature très hitchcockienne de la femme aperçue à la messe, Ma nuit chez Maud est constitué, comme la plupart du temps chez Rohmer, de longs échanges entre les personnages interprétés ici par un quatuor impeccable : Jean-Louis Trintignant, Antoine Vitez, Françoise Fabian et Marie-Christine Barrault. Les trompeuses apparences, la réversibilité et l’ambivalence des situations, les contradictions de chacun, la difficulté de mettre en harmonie ses pensées et ses actes nourrissent la dynamique du récit. Jean-Louis, catholique, est réfractaire au rigorisme janséniste de Pascal que son ami communiste partage. Maud semble finalement plus conventionnelle que l’image de femme libérée et séductrice qu’elle affiche tandis que la jeune Françoise s’affirme moins sage qu’il n’y paraît.
Il n’y avait qu’Eric Rohmer pour rendre passionnants à l’écran des discussions sur la grâce, la fidélité, le couple ou les aspirations amoureuses. Le cinéaste transformait les élans du cœur, les mouvements de l’âme et les jeux de l’esprit en un suspense où la cruauté le dispute à la tendresse. Formidable directeur d’acteurs et révélateur de talents, il mêlait sophistication et naturel avec l’apparente facilité qu’autorise le grand art. Son cinéma donna naissance à l’adjectif « rohmérien ». C’est dire sa singularité.
LES FILMS QU’IL FAUT AVOIR VUS