Une rétrospective est dédiée à Francesco Rosi à la Cinémathèque de Toulouse.
La rétrospective que consacre la Cinémathèque de Toulouse à Francesco Rosi inclut trois films de Luchino Visconti (« Bellissima », 1951 ; « Senso », 1953) dont il fut l’assistant à ses débuts. Rosi est également l’auteur du script de « la Terre tremble » (1947), dont il a dessiné certains plans. Il coréalise ensuite « Kean », avec Vittorio Gassman. Tournés en 1958, ses deux premiers longs métrages, « Le Défi » – primé à Venise – et « I Magliari », sont influencés par les films noirs d’Elia Kazan, de Jules Dassin et de John Huston. C’est avec « Salvatore Giuliano » qu’il connaît le succès en 1961, tant en Italie qu’à l’étranger, œuvre dans laquelle son style objectif et clair dans l’approche des réalités politiques et sociales se révèle nettement.
Critique et historien du cinéma, Jean A. Gili précise: «Décrivant d’abord les méfaits de la camorra à Naples (« Le Défi », 1958), dont il suit ensuite les ramifications en Allemagne avec « Profession magliari »/ »I Magliari » (1959), il élargit progressivement ses investigations à la Sicile pour en montrer la douloureuse soumission à la mafia (« Salvatore Giuliano », 1961), puis, revenant à Naples, il étale au grand jour la collusion entre les hommes politiques et les entrepreneurs capitalistes dans la mise à nu d’un problème – la spéculation immobilière – dont les enjeux ne sont pas seulement italiens (« Main basse sur la ville », 1963, Lion d’or à Venise).»(1)
Très imprégné par son Sud natal, Francesco Rosi tourne fréquemment dans le Mezzogiorno. Le cinéaste confesse: «Je suis né à Naples, j’appartiens au Sud, j’ai toutes les contradictions d’un homme du Sud et d’un homme qui a eu le privilège d’une éducation bourgeoise: le privilège d’une culture dans un monde sub-culturel. Ces contradictions s’expriment dans un conflit très simple et en même temps extrêmement complexe et dramatique: le conflit entre les sentiments et la passion d’une part, la raison d’autre part. Je crois que je suis un typique représentant de ce conflit. Mon univers est un univers d’émotions et de passions, avec tous les défauts, toutes les limites et aussi toutes les généreuses vertus de la passion. Mais en même temps, j’aspire à la raison, à la possibilité de lire les sentiments presque de façon contemporaine à leur naissance ; je cherche à exposer la passion à la lumière d’une analyse rationnelle.»(1)
Les œuvres de Francesco Rosi naissent généralement d’une recherche documentaire approfondie et d’un scénario écrit en collaboration avec des écrivains, notamment avec Tonino Guerra. Avec ce dernier, il signe ses films les plus marquants: « Les Hommes contre » (1970) qui décrit la folie meurtrière de la Première Guerre mondiale ; « l’Affaire Mattei » qui s’intéresse aux luttes internationales pour le contrôle du pétrole et remporte la Palme d’or au festival de Cannes, en 1972 ; « Lucky Luciano » (1973) qui suit la mise en place des réseaux de trafic de drogue entre l’Europe et les États-Unis ; « Cadavres exquis » (1976) qui dévoile «les rouages d’un complot d’État pour mieux asseoir l’autorité hors de tout contrôle démocratique», note Jean A. Gili.
Dans chacun de ces films, une personnalité historique est prétexte à l’analyse de la vie politique italienne pour en démasquer les compromissions. Selon Jean A. Gili, «Francesco Rosi représente une des figures les plus hautes de l’artiste profondément engagé dans les problématiques de son temps. Témoin de son temps, Rosi est sans doute le cinéaste le plus radical dans son approche civique et politique de la réalité italienne, dans sa volonté de montrer l’inextricable connivence entre pouvoir officiel et pouvoir occulte, entre organisation institutionnelle et structure mafieuse.»(1)
Ses origines hispaniques et les trois siècles de présence espagnole à Naples ressurgissent dans « le Moment de la vérité » (1964), évocation de la tauromachie dans l’Espagne franquiste, ainsi que dans « Carmen » (1984) de Bizet, et dans « Chronique d’une mort annoncée » (1987), d’après l’œuvre de Gabriel García Márquez. Dans le Sud de l’Italie, il tourne « Le Christ s’est arrêté à Eboli » en 1979, « Trois frères » en 1981, «qui n’est ni l’adaptation d’un livre ni le fruit d’une réflexion sur un dossier politique»(2), et « Oublier Palerme » en 1990, d’après Edmonde Charles-Roux.
«Axés sur l’histoire contemporaine, ils sont plus ouverts que les films précédents de Rosi aux émotions intimes de ses personnages. L’acuité de ses analyses sociales, politiques et économiques s’y allie à une exploration des destinées individuelles. Tiré d’un roman autobiographique de Carlo Levi, « le Christ s’est arrêté à Eboli » est le seul film de Rosi qui évoque l’ère mussolinienne du fascisme. Exilé dans une petite ville du Sud à cause de son opposition au régime, un bourgeois du Nord, de culture rationaliste (interprété par Gian Maria Volonté), y découvre un monde qu’il ignorait, où règnent mysticisme et irrationnel. Pas d’intrigue linéaire ici, mais un journal de voyage presque ethnologique, quête d’un intellectuel qui se sent proche de la souffrance des pauvres. Au début, une phrase de Carlo Levi (“Le Christ n’est jamais arrivé jusqu’ici, ni même le temps, ni l’âme individuelle, ni l’espoir, ni la liaison entre la cause et les effets, la raison et l’histoire”) apparaît comme la clé de tous les films de Rosi. Le cinéaste aura cherché pendant toute sa carrière à mettre en relation les causes et les effets»(2), assure Jean-Luc Douin.
Le cinéaste déclarait à ce sujet: «Si l’on fait une enquête à propos d’un fait divers, on s’aperçoit que ce fait divers offre la possibilité de conduire une analyse profonde sur ses raisons, ses causes, ses conséquences. C’est cela qui a commencé à m’intéresser et j’estime que cette tentative de mettre en relation les causes et les conséquences d’un fait peut être considérée comme mon univers autonome d’auteur, mon style, ma recherche»(3). En 1992, Francesco Rosi dénonce dans « Naples revisitée » les ravages des détournements de fonds, de la spéculation immobilière et de la drogue. En 1997, il adapte « La Trêve » de Primo Levi, récit du retour à Turin d’un groupe de survivants du camp d’Auschwitz.
Jean A. Gili constate: «Auteur de ses sujets, il a su s’appuyer sur des romans et des témoignages, adaptant les contes du Napolitain Basile, les récits autobiographiques du Sarde Emilio Lussu ou des Turinois Carlo Levi et Primo Levi, s’appuyant aussi sur le roman de politique fiction du Sicilien Leonardo Sciascia et s’ouvrant à des influences étrangères avec Georges Bizet et Prosper Mérimée, Gabriel García Márquez, Edmonde Charles-Roux. (…) Par certains aspects, Francesco Rosi, que ses amis surnomment affectueusement “le professeur”, s’est érigé en conscience morale du cinéma italien, en artiste qui a passé sa vie à se battre pour ses idées.»(1)
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
(1) cinematheque.fr (juin 2011)
(2) Le Monde (25/07/2008)
(3) lacinemathequedetoulouse.com
Rétrospective, du 18 au 27 novembre ;
Journée d’étude, mardi 8 novembre, de 9h00 à 18h00.