Avec BERHT, la seconde main rime avec culture
Avec BERHT, Manon Heidet concrétise un rêve. La jeune femme de 26 ans a ouvert sa friperie le 20 septembre dernier, rue de la Colombette. Plus qu’une simple boutique, chacun peut jouer le CD qu’il souhaite, trouver des tissus gratuits pour de la couture, s’imprégner d’une esthétique définitivement vintage, et même bientôt présenter son art lors de vernissages. Rencontre avec l’instigatrice du lieu.
Culture 31 : Pourquoi avoir appelé ta boutique BERHT ?
Manon Heidet : C’est l’étymologie du prénom de ma grand-mère, Berthe, en germanique. Je lui piquais ses vêtements quand j’étais petite. Je viens du Pas-de-Calais et avec elle je faisais absolument toutes les brocantes et vide-greniers. Il y avait notamment la braderie de Lille et tous ces évènements connus du nord de la France. Le nom est un hommage à elle, car l’idée de la friperie m’est venue juste après qu’elle soit partie. Mes parents aussi m’ont donné le goût de la seconde main à travers leur éducation.
Depuis quand ce projet d’ouvrir ta friperie mûrissait dans ton esprit ?
J’ai une copine qui répondrait « depuis toute petite » à cette question. Je commençais déjà à faire des échanges, des vide-dressings, des organisations dans ma chambre… Mais officiellement, l’idée me trotte dans la tête depuis quelques années. J’ai commencé à épargner sans faire de plans sur la commette pour voir ce qu’il était possible de faire à ma petite échelle. C’est devenu plus concret il y a un an ou deux. À la base ce n’était même pas prévu d’ouvrir une boutique.
Je pensais faire une friperie uniquement vagabonde. Avant, je faisais des guinguettes où j’étais conviée gracieusement, ce qui m’a permis de me faire connaître. Puis j’ai mis une petite boîte à idée, car je prévoyais de faire un site internet. Les gens disaient qu’ils avaient plutôt envie de pouvoir toucher les matières, constater les défauts ou non. D’où ce projet, finalement, de proposer un lieu physique.
Que faisais-tu avant dans la vie ?
J’étais dans l’immobilier, ce qui m’a permis de faire cette petite épargne pour créer BERHT. Ce domaine m’a plu, mais ce n’était pas moi.
Quelle décennie t’inspire le plus en terme de mode ?
J’adore tout ce qui est entre les années 70 et 90. Je suis aussi très curieuse des années 50 puisque c’était la garde-robe de ma grand-mère. Mais je propose absolument de tout et je ne vais pas me concentrer uniquement sur le vintage ou les marques. Le but est vraiment d’être dans un système de zéro déchet. D’où le fait de proposer ce que j’appelle du « tout venant », avec des marques comme Zara, etc.
Je n’en achèterais pas de mon plein gré, mais en attendant, le vêtement est déjà en circulation et j’estime qu’il a le droit à une seconde vie. Je propose ce genre de pièces à 2 euros dans des bacs à fouille.
Justement, avec ces bacs à deux euros, tu te démarques des autres friperies toulousaines. Était-ce dès le départ une volonté de ta part d’être accessible au plus grand nombre ?
Oui, et on en revient justement au Pas-de-Calais. Dans le nord, il y a beaucoup ce système de bac à fouille. On a l’opportunité de rentrer dans une friperie et se faire un petit plaisir à 2-3 euros. C’est justement ce qui m’a manqué à Toulouse, même si j’aime énormément de friperies ici et que j’ai mes boutiques préférées.
Aussi, dans les fripes actuelles finalement tout est déjà sélectionné et c’est merveilleux car on a de la qualité, des beaux articles… Mais pour ceux qui aiment vraiment le fait de chiner, ce n’est pas le même plaisir lorsque tout est déjà sur cintre et pré-sélectionné. Sans pouvoir faire sa propre petite trouvaille.
Hier par exemple, trois filles sont arrivées dans le magasin. Elles ont mis la musique qu’elles voulaient comme je le propose. Puis elles se sont assises, et ont vidé les bacs. Elles ont tout regardé pièce par pièce. C’est aussi ce public que je compte toucher avec ces méthodes là, que je vais d’ailleurs développer davantage.
Tu as également mis en place un bac avec des tissus gratuits. Quel est l’objectif de la démarche ?
Je ne suis pas encore une as de la couture. Le chiffon offert est donc pour moi un bon compromis. Si je n’ai pas su quoi en faire, d’autres sauront mieux s’y prendre ou ont tout simplement besoin de chiffons. Au moins c’est utile à quelqu’un.
Comme tu l’as mentionné plus tôt, tu proposes aux clients de choisir le CD de leur choix pour l’écouter pendant leur shopping. On retrouve également énormément de vinyles dans la décoration, etc. La musique a-t-elle une place importante dans ta vie ?
Finalement, elle n’a pas une si grande place, ce qui est assez contradictoire. Je veux tout de même une platine vinyle depuis des années et j’ai attendu d’ouvrir la boutique pour en avoir une. Je l’ai trouvée dans une boutique Emmaüs. Cet achat s’est aussi fait dans l’esprit d’être vraiment à l’ancienne.
J’ai aussi le poste, pour les CD. Ce poste, je n’y avais pas pensé tout de suite et c’est une story de Bigflo et Oli qui encourageait la population à acheter des CD qui m’y a fait songer. J’ai trouvé ça triste que les gens n’écoutent plus la musique que sur leurs téléphones ou leurs ordinateurs, à partir d’applications. Ma sœur suit justement beaucoup le duo toulousain et m’a demandé de lui acheter leur album. J’y suis donc allée et je m’en suis pris un aussi. J’y ai pris plaisir.
Il m’est aussi arrivé de garder mes écouteurs dans une boutique car l’ambiance musicale ne me plaisait pas forcément. Au moins ici les gens peuvent choisir ce qui leur plaît, et ça me permet de ne pas écouter sans cesse les mêmes choses.
Quels sont tes artistes musicaux préférés ?
Madonna passe et repasse dans la boutique. J’adore aussi Joe Dassin, à la surprise générale. Je pourrais l’écouter en boucle. J’écoute aussi Diam’s, Tragédie, Billy Crawford, Amy Winehouse, Nirvana, les Beatles… C’est très varié !
Quels sont tes évènements culturels préférés à Toulouse ?
J’aime les open air, car je m’initie aussi la musique techno. Je suis citadine depuis très peu de temps. Il me reste donc beaucoup de choses à découvrir.
Tu prévois par ailleurs d’organiser des vernissages et autres présentations artistiques dans ta boutique. As-tu déjà des artistes en tête ?
J’ai en effet quelques noms. Dans l’idéal, j’aimerais créer un évènement par mois. L’objectif serait de proposer à des artistes qui se lancent de présenter leur travail, chaque début de mois. Plusieurs personnes devraient faire leur apparition : un photographe professionnel, une chanteuse, quelqu’un du quartier qui fait de la broderie, une amie peintre du nom d’Alice Liquette…
J’invite beaucoup les artistes à m’écrire à ce sujet, même si je n’ai pas encore énormément communiqué dessus, notamment sur les réseaux sociaux. L’idée est non seulement de faire vivre la friperie, mais aussi de les aider à se lancer. De mon côté, c’est la guinguette Chez Jojo et Paulette qui m’a soutenue à mes débuts.
Côté déco, BERHT est très travaillée. Il y a beaucoup de détails. Par exemple la télé vintage, les affiches, les vinyles, les vases… Le design d’intérieur est-il un autre de tes centres d’intérêt créatifs ?
À la base, ce que j’aime dans le monde de la fripe, c’est de chiner pièce par pièce. J’ai pris goût à la décoration, car il le fallait pour ma boutique. J’ai toujours envie de tout changer pour que tout soit parfait. Je réfléchis d’ailleurs à rajouter de la tapisserie dans le coin avec les fauteuils, et mettre un grand canapé à la place.
Tu as chiné toi-même les objets de la boutique ?
Concernant la télé, le tourne-disque, et le pouf des années 70, je les ai trouvé grâce à une merveilleuse brocantière. Je suis tombée sur la télévision des années 50 sur Leboncoin. Je me suis donc dit que la vendeuse devait être une passionnée, et je ne m’étais pas trompée. Elle m’a trouvé plein de choses et va bientôt passer à la boutique pour m’aider à peaufiner.
Tout est dans le détail, jusque dans l’identité visuelle de BERHT. Notamment le logo.
Je suis passée par Sign’Enseigne. Ils font la plupart des enseignes sur Toulouse. Pour le logo en lui-même je dois tout à Mylène Couzinet, ma community manager. J’ai été très pointilleuse. Je voulais vraiment quelque chose qui rappelle ma grand-mère, avec ce nom et rien d’autre. Le choix de la typographie a d’ailleurs été très compliqué, car le mot BERHT n’est pas forcément très beau. Aujourd’hui, je suis très contente du résultat.
Propos recueillis par Inès Desnot