Lauréate du prix de Flore 2013 pour Tout cela n’a rien à voir avec moi, Monica Sabolo publie l’un des romans les plus singuliers de la rentrée littéraire. Manière de double enquête, La vie clandestine se penche à la fois sur le parcours du groupe terroriste d’extrême gauche Action directe et sur sa propre histoire familiale. De prime abord rien de commun entre ces activistes qui, de la fin des années 1970 à la fin des années 1980, vont faire couler le sang et une famille dorée vivant entre l’Italie et la Suisse. La petite Monica, élevée par sa mère et le mari de celle-ci qui va la reconnaître, grandit donc dans un milieu très aisé. Yves S., diplomate français au Bureau international du travail à Genève, mène la grande vie. Puis, le faste s’estompe. Le couple se sépare. Le père refait sa vie à Lisbonne en fuyant quelques créanciers et affaires louches.
Pendant ce temps, en France, Jean-Marc Rouillan, Joëlle Aubron, Nathalie Ménigon, Georges Cipriani et quelques autres veulent renverser le capitalisme et l’ordre bourgeois. A défaut, ils durent se contenter d’assassiner quelques victimes emblématiques – dont Georges Besse, PDG de Renault – et d’autres oubliées, tel Gabriel Chahine, indic des RG.
Pardonner les offenses
Rien de commun entre ces deux univers parallèles ? Pas si sûr. Pour Monica Sabolo, « le secret, le silence et l’écho de la violence » les relient souterrainement. Il y a aussi une époque commune, ces années 1980 festives et insouciantes, celles des « battants », de l’argent facile, de la conversion de la gauche de gouvernement à l’économie de marché. La vie clandestinereconstitue par fines et discrètes touches ce climat, mais surtout se penche sur la nébuleuse d’Action directe, en retrouve les « seconds couteaux » (formidables portraits de Régis Schleicher, Claude-Jean Halfen et Hellyette Bess), mais il ne faut pas dévoiler tous les ressorts et les surprises de ce texte âpre, tendre, parfois vertigineux.
Il y a là du roman noir politique (braquages, planques, traques…) et du mélodrame familial. Pour les terroristes viendra le temps des procès, des lourdes peines et des rudes conditions de détention. Sous la fange du crime, derrière le fanatisme des idéologues aveuglés, Monica Sabolo distingue aussi « la superbe de l’honneur et de la fraternité », « le courage, le refus de se résigner à la dissolution du commun, le refus du repli et du désespoir de ces années 80 qui se laissent glisser dans le néolibéralisme comme si c’était inéluctable. » Nul relativisme moral ni fascination bébête pour les tueurs chez l’écrivain qui s’efforce de recueillir les regrets, la reconnaissance de la souffrance que l’on a causée comme une raison de ne pas désespérer. La vie clandestine est au final un livre sur les aveux et le pardon qui nous souffle « Ne vous approchez pas trop du cœur d’autrui, vous ne serez jamais plus sûr de rien. »