Eugénie Lefebvre prend la relève de Mathé Perrin à la présidence du Printemps de septembre. Nous la rencontrons pour échanger avec elle au sujet de son parcours, de sa vision de la création, des projets et changements à venir en ce qui concerne le festival.
Pouvez-vous me parler de votre parcours et de la façon dont s’est fait votre goût pour l’art ?
Mon goût pour l’art s’est construit dès ma plus tendre enfance. J’ai eu la chance à cette période d’habiter plusieurs années à Paris et d’aller à la FIAC tous les ans, comme une sorte de tradition très importante, qui a beaucoup forgé mon goût et ma connaissance pour la création contemporaine. C’est quelque chose qui m’a accompagnée tout au long de ma vie et qui est devenu un intérêt vraiment personnel et central dans ma vie d’adulte.
Mon parcours est lui plus généraliste. J’ai eu besoin de répondre à ma soif d’apprentissage et de culture générale, et j’ai ainsi commencé mes études de Sciences Politiques à Aix-en-Provence. J’avais d’ailleurs là-bas suivi des cours d’Histoire de l’Art en option, j’avais toujours ça quelque part dans ma tête. J’ai ensuite rejoint H.E.C pour acquérir un apprentissage général, une connaissance globale de l’ensemble des domaines de management, de marketing, de finance, etc. À la suite de ce cursus j’ai commencé à travailler dans l’agence de publicité BETC, l’une des plus grandes agences françaises et européennes. Ce travail a comblé un temps mon attirance pour l’art car il articulait de manière stratégique création et business, créativité et quotidien. Cela a néanmoins rapidement eu ses limites et j’avais atteint un réel point de frustration quand j’ai eu l’opportunité d’accompagner le projet de transformation de l’agence BETC et son déménagement du 10e arrondissement de Paris à Pantin (93), de l’autre côté du périphérique, dans d’anciens magasins généraux. J‘ai pris la direction du projet auprès de l’un des fondateurs de BETC, Rémi Babinet, pendant 4 ans. Ce projet recouvrait de multiples facettes : architecture, urbanisme, nouveaux modes de travail, design, etc. Et en filigrane, il y avait la volonté très forte de s’inscrire dans le territoire de Pantin et de la Seine-Saint-Denis et d’avoir un rez-de-chaussée ouvert dans lequel il y aurait une programmation culturelle accessible à tous. Après 4 ans de projet, une fois nos valises posées à Pantin, nous avons créé et développer ce centre de création qui a conservé son nom, les Magasins généraux.
Nous avons fondé ce lieu de manière assez intuitive car nous n’avions pas de cadre de référence. Ce n’était pas une institution, ni une fondation ou une fondation d’entreprise, nous l’avons davantage pensé comme une start-up adossée à une agence de publicité. On m’a laissé développer ce lieu dans cet esprit là et je pense que c’est ce qui lui a donné une couleur assez singulière, un lieu privé installé au sein du bâtiment de BETC mais aussi un lieu culturel à la fois ambitieux artistiquement et très agile, avec une petite équipe et très peu de moyen de programmation. Ce qu’on a créé, c’est aussi beaucoup de réseaux avec les autres lieux culturels à Pantin et dans le grand Paris, une programmation souvent imaginée en partenariat et en collaboration avec d’autres. Il a fallu être en permanence innovant et inventer de nouveaux types de partenariat avec des structures et entreprises privées qui dépassaient le cadre du mécénat classique. Il s’agissait plutôt de trouver le moyen de travailler autrement avec des entreprises privées qui étaient partenaires du projet et que j’arrivais à embarquer, presque plus sous la forme de sponsoring sportif, en inventant des façons de travailler et imaginer des projets ensemble, sur des budgets de communication, de marque. Pour autant ces partenaires n’interféraient pas dans la curation artistique, ni dans le choix des œuvres ou encore le propos. Cela nous offrait une grande liberté dans ce qu’on pouvait inventer ensemble. Nous avons fait par exemple une exposition sur les futurs de l’amour avec Tinder. Tinder n’est pas un grand mécène de la culture, c’était pourtant très intéressant d’imaginer le projet avec eux et cette énorme soirée qu’on a appelée « La nuit rose » pendant la FIAC. Puis est né de ce projet une édition, un livre sur les futurs de l’amour que nous avons vendu en librairie et qui a trouvé son public.
Tout ça m’amène à cette année 2022 où j’ai passé la main à l’équipe des Magasins généraux et notamment ses directeurs artistiques Anna Labouze et Keimis Henni, pour créer un lieu à Arles qui mêle guesthouse et résidence d’artistes mais aussi prendre le relais de Mathé Perrin à la présidence du Printemps de septembre. Je suis en train de me redéployer dans le grand Sud !
En ce qui concerne le Printemps de septembre et cet attrait pour la culture et la création contemporaine, il s’explique aussi parce que j’ai eu la chance immense de pouvoir découvrir le Printemps à l’époque de Cahors alors que j’étais encore très jeune. Aujourd’hui, c’est donc aussi pour moi beaucoup de souvenirs d’enfance, cette transformation de la ville au prisme de l’art et la création, cette façon de faire de la ville une fête, cela m’a marqué de manière irréversible. J’ai eu la chance d’être conviée par Mathé Perrin la fondatrice du festival, à rejoindre le conseil d’administration juste avant l’édition 2018, et je me suis dès lors beaucoup investie auprès du conseil qui m’a nommé vice-présidente en 2020 avec l’objectif de prendre le relais de Mathé Perrin après l’édition anniversaire des 30 ans (qui a eu lieu en septembre 2021).
Vous prenez cette présidence du Printemps après 4 années de travail au sein du festival. Comment se définit votre rôle ? En quoi consiste la présidence d’un tel évènement ?
Je pense que chaque présidence est différente et dépend beaucoup de la manifestation, du contexte, de l’équipe et de sa propre personnalité et envie de s’impliquer en tant que président.e. C’est tout nouveau et cela se met en place progressivement. C’est aussi une présidence qui débute dans un temps très particulier de transformation du festival, mais, c’est aussi cela qui rend le défi plus intéressant encore.
Évidemment, on s’inscrit dans les pas d’un festival qui a 30 ans d’existence et qui jusque-là était porté par sa fondatrice. C’est un sacré défi pour être à la hauteur de ce qu’elle a réussi à faire et à maintenir dans la durée, en termes d’exigence artistique, d’ouverture, d’ancrage dans le territoire et en termes de réputation tant locale que nationale et internationale.
Il y a toutefois un certain nombre de nouveaux paramètres sur des questions sociales, sociétales et environnementales à prendre en compte. Nous sommes convaincues avec Anne-Laure Belloc, la directrice du festival, qu’on ne pense pas un festival en 2022 comme on l’aurait fait un 1991 quand Mathé Perrin le créé à Cahors. Il y a aujourd’hui un certain nombre d’enjeux, de forces, de rôle de l’art et d’engagement des artistes d’un point de vue citoyen et environnemental, qui est beaucoup plus fort et qu’on voulait mettre au cœur des choses. Nous savions qu’il fallait faire évoluer les choses dans ce sens. La question restait de savoir comment rester fidèle à l’esprit du festival tout en s’inscrivant dans ce nouveau contexte qui est également un nouveau contexte d’un point de vue budgétaire. Le Covid est passé par là et le budget est bien moindre que celui que le festival a eu ces 30 dernières années. Cela nous a donc aussi forcé voire autorisé à réinventer les choses. Nous allons vraiment faire évoluer la forme du festival tout en conservant ses fondamentaux, à savoir son exigence artistique et culturelle, le fait de travailler avec des artistes d’horizons et de disciplines variées et cette idée de faire de la ville une fête au prisme de l’art contemporain tout en s’y déployant de manière singulièrement différente de ces dernières années.
Aujourd’hui à un moment de réinvention je prends très à cœur le rôle de présidente qui m’a été confié. C’est aussi un travail sur la vision stratégique qui est mené en étroite collaboration avec la directrice, pour aller chercher des partenaires pour pouvoir se positionner et se déployer sur un plan local, régional et national voir international.
Après ses 30 années d’existence qu’est ce qui fait selon vous les grands piliers du Printemps ?
Ce qu’il a de très fort et dont je me souviens même à l’époque de Cahors, c’est de proposer une manifestation extrêmement exigeante. En se replongeant dans les archives du festival, ce que nous avons notamment fait pour l’édition du livre paru à l’occasion des 30 ans, on voit la participation d’artistes qui parfois à l’époque étaient à peine connus ou tout juste émergents quand ils sont passés par le festival et qui, par la suite, sont devenus des artistes de renommée internationale, côtés ou reconnus. C’est un aspect très fort et je le vois en parlant aussi avec des acteurs du monde de l’art qui eux-mêmes reconnaissent cette dimension, tant dans l’exigence que dans le côté « défricheur » qui permet d’avoir toujours un temps d’avance. Ce temps d’avance Anne-Laure Belloc et moi-même devons le garder.
C’est aussi à la fois un évènement festif et populaire avec toute la charge positive qu’on peut mettre derrière le mot « populaire » : ouvert à tous, gratuit, qui invite tout le monde, des voisins, des bénévoles, des gens de la ville qui n’ont pas forcément tous une appétence pour l’art contemporain et qui ne vont pas forcément dans des musées et d’autres gens qui vont eux spécialement venir à Toulouse pour le festival et découvrir la ville à ce moment-là via l’inscription du festival dans des lieux patrimoniaux, des musées , dans l’espace public, etc. Cette articulation entre l’exigeant et l’universel c’est une identité très forte du festival, un vrai marqueur, et quelque chose auquel je tiens et, quand j’y pense, j’étais déjà dans cet équilibre-ci pour les Magasins généraux.
J’insiste aussi sur le fait que c’est un festival qui a un très petit budget par rapport à de grandes manifestations comme la biennale de Lyon ou les Rencontres d’Arles.on a 1/10ème ou un 1/5ème de ces budgets-là en fonction de la manifestation et je trouve que jusqu’à maintenant, nous n’avons pas à rougir en terme de programmation alors que ce serait presque légitime que ce soit plus petit, qu’il y ait moins de productions, de grands artistes ou d’œuvres incroyables dans l’espace public. Cette force c’est aussi la force de l’équipe qui est une petite équipe mais de talents incroyables !
Il y a depuis plusieurs années une volonté d’étendre le festival au-delà de l’hyper-centre, de l’amener en périphérie. Comment est-ce qu’on arrive à inscrire cette volonté durablement et en accord avec les lieux ?
Cette envie s’est développée surtout sur les trois dernières éditions dirigées artistiquement par Christian Bernard. Elles ont beaucoup portées cette volonté de rayonner, de faire participer un maximum de publics et de faire bénéficier le maximum d’habitants de la région via les centres d’arts de Colomiers, de Labège ou de Saint-Gaudens. Pour répondre à votre question c’est beaucoup de discussions, de collaborations avec les lieux et les programmateurs de ces lieux.
C’est important d’aller rencontrer les directeurs artistiques, directrices et directeurs de ces lieux et de pouvoir penser les choses ensemble, car même si on arrive avec une ligne directive et artistique il faut que cela ait du sens de présenter tel artiste dans tel lieu qui a déjà un ligne artistique et éditoriale.
Sur la question de la géographie, je reviens sur la question du budget, c’est extrêmement pragmatique mais c’est un peu le nerf de la guerre ! Malheureusement avec notre budget extrêmement contraint on ne pourra plus se permettre de se déployer à l’échelle de la région. Nous sommes davantage sur une réflexion pour redensifier et condenser les parcours. La configuration du festival telle qu’on la connaît aujourd’hui ne sera plus possible demain car ce serait trop de propositions dispatchées qui feraient perdre une cohérence de parcours pour le public. Si nous avons toujours l’idée d’habiter des lieux de différentes typologies et de collaborer avec des associations, des écoles, des mairies de quartiers ou encore des médiathèques, désormais nous investirons à chaque édition un quartier différent. C’est dans ce sens que les choses sont en train d’évoluer, condenser chaque année la programmation sur un quartier pour pouvoir fédérer tous ces acteurs ce qui est plus difficile à faire à l’échelle de la ville et de sa périphérie. L’idée c’est aussi que cela permette aux Toulousains de découvrir ou redécouvrir certains quartiers avec un coup de projecteur différent, et de présenter la ville de Toulouse de manière singulière et innovante chaque année à des visiteurs extérieurs. Pour démarrer, on va investir les premières années des quartiers très identifiés du centre-ville avant d’aller explorer des quartiers jusqu’ici moins mis en lumière.
Est-ce qu’il y a d’autres nouveautés qui seront apportées à la prochaine édition ?
On reste sur l’idée de se reconcentrer et d’être davantage avec un focus majeur. Il y a donc la focale du quartier mais il va y avoir la focale d’une créatrice ou d’un créateur qui va tous les ans être associé à la conception de la programmation du festival. Donc tous les ans on va aller chercher une sorte d’artiste-associé, pour emprunter ce terme au spectacle vivant, ce n’est ni une carte blanche ni une proposition de commissariat. Il s’agit véritablement d’aller chercher un artiste avec qui on pense de A à Z la ligne artistique et éditoriale de l’édition. Cette créatrice ou créateur pourra venir d’horizons variés : architecture, design, cinéma, musique, écriture… Et autour de cet artiste invité on fédérera une communauté d’artistes pour venir déplier, déployer l’univers de cet artiste-associé, que ce soit dans l’univers disciplinaire, intellectuel, ou thématique etc… De cette façon on conserve l’idée d’intelligence collective en intégrant chaque année un artiste au sein de notre équipe tout en sachant que ces collaborations vont nous demander de nous réinventer à chaque fois. Un artiste A ne saisira pas du tout de la même façon des enjeux qu’un artiste B, et c’est un aspect qui est excitant à la fois pour nous, et les différents acteurs et le public. Ça permet d’attiser une curiosité sur la façon dont la collaboration avec l’artiste-associé aura permis au festival de se déployer parce que ce sera forcément totalement différent d’une année sur l’autre.
Et enfin, la grande conviction qu’on avait avec Anne-Laure Belloc depuis le début, et que les restrictions budgétaires n’ont pas coupé dans notre élan, c’est de rendre à nouveau le festival annuel pour en faire un rendez-vous et qu’à toutes les mêmes périodes de l’année on sache que le Printemps revient. Ce sera ainsi tous les ans, à partir de début juin. Rendez-vous le premier week-end de juin 2023 pour la première édition.
Qu’est-ce qu’on peut souhaiter au festival et à ses prochaines éditions ?
Beaucoup d’enthousiasme et d’élan, ce sont les mots qui me viennent en tête. Qu’il garde sa force et sa fraîcheur qui sont dans son ADN, en le rendant toujours avant-gardiste, contemporain, ancré dans le présent et juste dans les propositions faites aux artistes dans un contexte à la fois social, citoyen et artistique. Et puis, je lui souhaite de continuer à garder cette capacité de se réinventer en permanence qui nécessite une certaine agilité.