Rocamadour, l’étape enchantée
Quelques semaines après le passage du Tour de France cycliste, la cité mariale lotoise accueille du 15 au 26 août le 17e Festival de Rocamadour. Une édition sous-titrée Migrations dans ce haut-lieu du patrimoine régional où font halte chaque année des centaines de milliers de touristes et pèlerins venus du monde entier, étape obligatoire pour de nombreux musiciens français et européens depuis la création du festival en 2006. Une terre de rencontres entre mélomanes et artistes et un carrefour musical et culturel qu’illustre la programmation du millésime 2022, assurément un grand cru. Tour d’horizon.
Deux concerts du Tenebrae Choir pour lancer le festival les 15 et 16 août
Le désormais traditionnel concert d’ouverture du 15 août, jour éminemment symbolique dans la cité de la Vierge noire, devait être donné par le Choeur du Patriarcat de Moscou. Une venue annulée pour les raisons que tout le monde peut imaginer. Le public n’y perdra cependant pas au change puisque c’est le Tenebrae Choir qui remplace le choeur moscovite lors de la soirée de lancement de cette 17e édition, à 21h à la basilique Saint-Sauveur. Un an après sa première participation au festival, l’ensemble vocal britannique (un des meilleurs au monde) dirigé par Nigel Short présente un programme de musiques composées pour la Vierge Marie, avec entre autres des pièces de Bruckner, Britten, Grieg, Poulenc, Stravinsky et Verdi.
Le Tenebrae Choir est de nouveau à l’affiche le 16 août, mais à Souillac dont la splendide abbatiale est devenue l’un des lieux privilégiés de la programmation « hors les murs ». Le concert est cette fois-ci resserré autour de deux œuvres emblématiques, le Miserere de Gregorio Allegri et Path of Miracles du compositeur britannique contemporain Joby Talbot. Les quatre mouvements de cette poignante fresque vocale célébrent le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle et portent les noms des principales étapes du « Camino Frances » : Roncesvalles (Roncevaux en français), Burgos, León et Santiago.
Quatre soirées dans la vallée de l’Alzou, au pied de la Cité
Le défi d’organiser des concerts en plein air au pied de la Cité de Rocamadour avait été relevé une première fois en 2019, lorsque Renaud Capuçon et les Lausanne Soloists avaient rassemblé 1 700 spectateurs dans la vallée de l’Alzou. L’expérience a été renouvelée avec succès l’an passé en doublant la mise (deux soirées avec le Concert de la Loge puis avec Philippe Jaroussky et Céline Scheen accompagnés par L’Arpegiatta). En 2022, quatre concerts sont programmés au pied de la Cité illuminée à partir de 20h30, dans un décor grandiose comme peu de festivals peuvent en offrir en France.
Dès le 18 août, premier rendez-vous dans la vallée de l’Alzou avec l’ensemble les Arts Florissants, son fondateur et chef charismatique William Christie (au clavecin) et deux des plus brillants représentants de la jeune génération baroqueuse française, la mezzo-soprano Lea Desandre et le théorbiste Thomas Dunford. La chanteuse franco-italienne (« Révélation artiste lyrique » aux Victoires de la musique classique 2017) et le virtuose franco-américain formant un couple à la scène et à la ville, rien d’étonnant à ce que le programme de ce concert soit intitulé Les recettes de l’amour et constitué de pièces composées par Rameau, Lully, Charpentier, Couperin, Offenbach, Chausson, Hahn, Marais, Ravel et quelques autres encore…
La scène de la prairie est occupée dès le lendemain par Les Surprises, autre ensemble spécialisé dans le répertoire baroque, qui fête cette année ses dix ans d’existence. Pour célébrer dignement cette décennie musicale, la formation fondée et dirigée par Louis-Noël Bestion de Camboulas donne la Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach. Un des chefs d’oeuvre de la musique sacrée européenne dans un des plus beaux sites religieux de France pour une soirée du 19 août qui s’annonce d’ores et déjà inoubliable.
Le troisième concert au pied de la Cité, le 22 août, est l’occasion pour le festival de recevoir pour la première fois Jordi Savall et le Concert des Nations. Un événement compte tenu de l’aura du musicien catalan, pionnier en son temps du renouveau de la musique baroque comme le fut William Christie. Le programme de cette première à Rocamadour emprunte son titre Les Goûts réunis à un recueil de dix suites composées par François Couperin mais en lui donnant une dimension européenne avec des pièces de Lully, Biber, Corelli, Avison et Boccherini.
Quatrième et dernier concert dans la vallée de l’Alzou le 23 août, en compagnie d’un fidèle du festival, le violoniste Renaud Capuçon, présent dans la programmation de manière ininterrompue depuis 2019. Pour cette quatrième participation consécutive, le plus médiatique de nos musiciens dirige l’Orchestre de Chambre de Lausanne, prestigieuse formation dont il assume la direction artistique et musicale depuis 2021. Le Concerto pour violon n°2 et la Symphonie n°3 « Écossaise » de Félix Mendelssohn sont au programme de ce concert entièrement dédié à la gloire du grand compositeur germanique.
Quatre autres concerts à la basilique
La basilique Saint-Sauveur reste bien sûr au coeur de la manifestation. L’histoire du lieu s’y concentre autour de la Vierge noire exposée au public dans la chapelle qui lui est consacrée. L’acoustique de l’édifice est remarquable, saluée autant par William Christie que Renaud Capuçon. Comme le veut la coutume du festival, le piano est à l’honneur le 17 août avec une autre première à Rocamadour, celle de Bertrand Chamayou dont la venue était attendue de longue date. Reconnu depuis près de deux décennies comme un des grands du clavier hexagonal et régulièrement distingué par les Victoires de la musique classique, le pianiste toulousain donne à 21h un programme parfaitement adapté au lieu, centré autour d’oeuvres des très religieux Franz Liszt (rappelons son magnifique enregistrement de l’intégrale des Années de Pèlerinage paru en 2011) et d’Olivier Messiaen, deux de ses compositeurs de référence.
La Sportelle, l’ensemble vocal associé au festival, est lui aussi programmé à 21h à la basilique Saint-Sauveur lors de cette édition 2022. Une juste reconnaissance pour cet excellent octuor de chanteurs qui vient tout juste de faire paraître un très joli CD (Ave Maria, oui mais lequel ?) regroupant une vingtaine d’Ave Maria parmi les nombreuses versions composées à travers les siècles. Le 21 août, c’est un programme intitulé Lux que l’ensemble propose au public, autre périple vocal à travers des siècles de répertoire sacré au gré de pièces de Poulenc, Victoria, Tallis, Rheinberger, Withacre, Bruckner, Elgar et Gjeilo. Que la lumière soit…
Pilier de La Sportelle depuis la fondation de l’ensemble, la mezzo-soprano Anne Bertin-Hugault a enfin l’honneur de donner son récital dédié à Hildegard von Bingen en soirée à la basilique, le 24 août à 21h. Pour rendre hommage à ce personnage hors du commun, abbesse bénédictine du XIIe siècle, femme de lettres et compositrice, docteur de l’Église depuis 2012, la chanteuse a formé l’ensemble Oriscus en compagnie du poly-instrumentiste Colin Heller. Une vraie curiosité que ce « programme personnel et instructif sur Hildegarde » comme le définit Anne Bertin-Hugault elle-même.
Le Concert Spirituel clôture cette 17e édition le 26 août à la basilique. La formation fondée et dirigée par Hervé Niquet y donne à 21h son concert de fin de résidence à Rocamadour. Un partenariat commencé en 2020, malheureusement perturbé par les divers rebonds de la crise sanitaire. Fin de résidence donc, et fin de festival en beauté avec un des meilleurs ensembles français pour un programme au titre joliment évocateur, Mouvement vers Rome, constitué d’oeuvres sacrées de Gounod, Delibes et Saint-Saëns. De rares petits bijoux du répertoire romantique français en conclusion du festival 2022.
Un second concert à l’abbatiale de Souillac
Pour la troisième fois en quatre éditions, la compagnie La Tempête est invitée au festival. Une fidélité méritée au regard du formidable succès rencontré auprès du public amadourien en 2019 et 2021 par la formation fondée et dirigée par Simon-Pierre Bestion. Après ces concerts mémorables à la basilique Saint-Sauveur, c’est à l’abbatiale de Souillac que l’on retrouve la compagnie le 25 août à 21h avec un chef d’oeuvre du début de la période baroque, Les Vêpres de la Vierge de Claudio Monteverdi. Chaque concert de La Tempête étant une création à part entière, conçue comme un spectacle vivant centré sur « l’immersion sensorielle » du spectateur, l’impatience est grande de découvrir ces Vespro della Beata Vergine dans un lieu propice à toutes les audaces scéniques.
Au château de la Treyne et ailleurs sous les étoiles
Les concerts « hors les murs » sont maintenant une tradition bien établie au Festival de Rocamadour, notamment dans les superbes jardins du Château de La Treyne, propriété située sur la rive gauche de la Dordogne, à Lacave. Le 20 août à 19h30 s’y produit un des duos les plus en vogue du moment, celui que forment la jeune trompettiste Lucienne Renaudin-Vary et l’accordéoniste Félicien Brut (présent au même endroit l’an passé, mais avec le guitariste Thibaut Garcia). L’association trompette/accordéon n’est pas commune et détonne sur la scène musicale nationale, raison supplémentaire de ne pas rater leur programme Vents de danses constellé de pièces de Piazzolla, Grieg, Höhne, Bernstein, Galliano et Escaich.
Dans le genre « hors les murs » mais selon une formule pour le moins originale lancée par le festival il y a deux ans, les Concerts sous les étoiles rencontrent également un succès grandissant auprès du public. Le quatuor vocal Climax, promoteur du concept depuis 2020, est donc reprogrammé cette année les nuits des 24 et 26 août à 23h sur le site du Dolmen de Magès, ainsi que le 25 août au château de Haute-Serre (commune de Cieurac) pour une soirée Bodega commençant à 19h30. La nuit, les étoiles, des transats confortables pour les contempler en écoutant des arrangements de chansons de Billy Joel, Charlie Chaplin, Leonard Bernstein, Nat King Cole, Claude Nougaro, et des Beatles, des Bee Gees… Zénitude garantie.
Le stage d’été se dédouble
C’était la nouveauté de l’édition 2021, le traditionnel stage d’été Cantica Sacra propose encore deux sessions distinctes en 2022. S’adressant à tous ceux qui souhaitent s’initier au chant choral ou se perfectionner, et encadré par des musiciens et enseignants professionnels (Anne Bertin-Hugault, Laetitia Corcelle et Jean-Philippe Billman), il peut accueillir jusqu’à 60 stagiaires. Première session du 12 au 19 août avec un programme intitulé « Entends ma prière » construit autour du magnifique Höre mein Bitten de Mendelssohn, puis seconde du 19 au 26 août à la découverte d’une œuvre légendaire, le Livre Vermeil de Monserrat, avec l’ensemble Diabolus in Musica, spécialiste de la musique médiévale. Ces deux sessions vont donner lieu à des concerts de fin de stage à la basilique Saint-Sauveur (les 19 et 26 août à 16h, entrée libre).
En montant d’un cran supplémentaire la qualité, la variété et l’originalité de sa programmation, le Festival de Rocamadour s’affirme plus que jamais comme l’un des principaux événements musicaux de la région Occitanie, l’un des rares si ce n’est le seul dont la fréquentation est en forte hausse depuis trois ans. Une réussite qui repose à la fois sur le site exceptionnel dont il dispose et sur la créativité de l’équipe organisatrice pour en tirer le meilleur parti. Cette 17e édition s’annonçant déjà comme un nouveau succès public, il est vivement conseillé de réserver ses places dès que possible.