Le poison du pygmalion
En travestissant Les Larmes amères de Petra von Kant, le chef-d’œuvre du cinéaste et dramaturge allemand Rainer Werner Fassbinder (1945-1982), François Ozon avec Peter von Kant nous donne ici à voir, au travers d’une folle passion amoureuse, certaines coulisses privées peu reluisantes du 7e art.
Peter von Kant est un cinéaste reconnu et recherché. Les actrices feraient n’importe quoi pour être devant sa caméra. Sauf que, voilà, Peter collectionne plutôt les conquêtes masculines. Jeunes de préférence. C’est ainsi que, plus ou moins innocemment, Sidonie, une grande actrice le sachant en mal d’amoureux, lui présente Amir, un débutant. Avec sa gueule d’ange pasolinien et une flamme sombre au fond de son regard, il n’en faut pas plus au pauvre esseulé pour tomber raide dingue du jeune maghrébin. Ce qui n’a pas l’air de déplaire à ce dernier… Pour faciliter le travail d’éducation cinématographique, Peter l’installe chez lui. Le temps passe et brusquement nous retrouvons les deux amants un an après. L’idylle continue, aveuglante, côté Peter. Amir a changé. Beaucoup ! Il est devenu insolent et se joue manifestement de la passion dévorante qu’éprouve son Pygmalion. Quelle goutte d’eau fera déborder le vase ?
Au départ, Les Larmes amères de Petra von Kant est une pièce de théâtre. François Ozon en fait donc un huis clos dans un appartement bourgeois kitchissime des années 70 du siècle dernier. C’est là que nous allons assister à la dilatation jusqu’à l’impensable d’un amour à sens unique voué à l’échec. D’autant que Peter a, face à lui, un arriviste prêt à vendre beaucoup plus que son âme pour parvenir à la gloire…
S’entourant de comédiens de premier rang, François Ozon lève un voile de manière très impudique sur les coulisses privées du cinéma : hypocrisie des relations, jeu de pouvoir entre célébrités et débutants, égocentrisme forcené tutoyant la folie et bien d’autres chemins de traverse nauséeux. Pourquoi malgré une mise en scène d’un raffinement – trop – extrême, des cadrages et des lumières somptueux, l’émotion ne vient-elle pas ? Denis Menochet (Peter), Isabelle Adjani (Sidonie) et Khalil Ben Gharbia (Amir) ont beau s’agiter ou prendre la pose, rouler des yeux, minauder ou s’injurier, le surjeu, amplifié par une théâtralité évidente et un texte « trop » écrit, s’impose et dame le pion à leur talent. Dans des rôles secondaires, comment ne pas souligner cependant Stefan Crepon, Karl le souffre-douleur, incroyable de présence muette, et la grande Hanna Schygulla, ici la mère de Peter. A elle seule et au travers de sa courte apparition, cette immense actrice nous rappelle l’élégance vénéneuse du film original.