De Malte aux banlieues françaises, de la Turquie à la Tunisie en passant par la Libye, la Syrie et l’Irak en guerre, Mécaniques du chaos entraîne le lecteur à la rencontre de quelques-unes des lignes de front du nouveau désordre mondial.
À sa façon, Daniel Rondeau semble illustrer ici la théorie des « six degrés de séparation » d’après laquelle toute personne sur la planète est reliée à n’importe quelle autre selon une chaîne de relations ne dépassant pas cinq individus. De fait, la vingtaine de personnages principaux qu’il met en scène – espions, trafiquants, djihadistes, journalistes, diplomates, archéologues, migrants, hommes d’affaires… – se retrouvent, par-delà les frontières, au cœur d’une intrigue à tiroirs déployée avec virtuosité.
Ce roman polyphonique, usant des outils du thriller et du feuilleton, alterne les points de vue, l’infiniment grand et l’infiniment petit. De fait, ce tableau trépidant d’un monde en ébullition vaut, au-delà de la description d’un conflit déclenché un jour de septembre 2001, pour la variété de ses motifs. Les territoires perdus de la République abandonnés à des caïds islamo-mafieux, l’antisémitisme et le négationnisme proliférant dans ces mêmes banlieues, Fleury-Mérogis devenu « un petit califat », le double ou triple jeu de la Turquie envers l’État islamique et les groupes djihadistes, la reconversion d’officiers de Kadhafi et de Saddam Hussein dans le djihad, le trafic d’œuvres d’art et de pétrole, la tragédie des migrants fuyant guerre et misère : tout cela est évoqué sans didactisme ni manichéisme.
Le pire n’est pas toujours sûr
La connaissance concrète de la Méditerranée et de l’Orient que l’auteur a développée au cours d’une existence riche de rencontres et d’expériences (Daniel Rondeau a été ambassadeur à Malte ; il a écrit sur Istanbul, Tanger ou le Liban…) n’est pas étrangère à la puissance d’incarnation du roman. Si Mécaniques du chaos, grand prix du roman de l’Académie française en 2017, distille une sourde mélancolie face à « la disparition progressive mais inéluctable de cette vie chrétienne qui dure depuis deux mille ans » et face à la tragédie de destinées sacrifiées par des croyants qui n’ont d’autre religion que la mort, Daniel Rondeau refuse de désespérer jusqu’au bout. Les touchantes figures d’Habiba et Harry entretiennent le domaine du possible et de l’espérance. Comme le dit un personnage : « Le pire n’est pas toujours sûr. »