Après Football Factory et La Meute, Aux couleurs de l’Angleterre, publié en France en 2005, clôturait la remarquable trilogie romanesque que John King consacra à une bande de hooligans londoniens. On retrouve donc Tom, Harry, Carter et les autres supportant le club de Chelsea (pas encore racheté par le milliardaire russe Abramovitch) et l’équipe nationale. Leur programme est immuable : énormément d’alcool, pas mal de drogues, un peu de sexe et surtout de terribles bastons avec les forces de l’ordre et les supporters adverses. Là, Harry et sa bande quittent leur pays afin d’assister au match Allemagne / Angleterre à Berlin.
Dans l’ancienne capitale du troisième Reich, ces jeunes hommes comptent bien renouer avec « l’esprit du Blitz » pour affronter l’ennemi héréditaire auquel ils aiment rappeler en chantant le rapport de forces : « Deux guerres mondiales, une Coupe du Monde ». Pendant ce temps à Londres, dans le pub fréquenté par ces hooligans, Bill Farrell, vétéran de la deuxième guerre, retrouve ses anciens compagnons d’armes. Il se souvient de sa femme, rescapée d’un camp de concentration, et des soldats allemands qu’il a tués, sans pitié, pour les couleurs de l’Angleterre lors du débarquement en Normandie.
La guerre en temps de paix
Dans une langue rapide et vivante, John King dessine avec brio le portrait d’une nation rongée par la déréliction et où les cultures individuelles ont été éradiquées pour être remplacées par « une société anonyme, au sens propre, neutre et froide comme une galerie commerciale ». À l’image du football sacrifié à la marchandise, les traditions et les valeurs du peuple ont été réduites en cendres. Sans didactisme ni idéologie, Aux couleurs de l’Angleterre épingle la facilité avec laquelle l’argent a corrompu les âmes.
Entre le débarquement de Bill Farrell sur les plages normandes et le déferlement des hooligans à Berlin cinquante ans plus tard, quelque chose s’est passé. La mémoire s’est abîmée. Le courage et la force ont été pervertis. Le vieil homme ne peut que constater le gâchis : « Si certains de ces gamins pouvaient voir aujourd’hui les troupes massées dans le sud de l’Angleterre en vue du Débarquement, ils seraient étonnés. En lisant un nom polonais, comprendraient-ils ce qui s’était passé en Pologne, sauraient-ils que les Polonais libres s’étaient battus et étaient morts ? Sauraient-ils que le Bomber Command était à quarante pour cent composé de non-Britanniques?»
Violent, truculent, rageur, grave, drôle, poétique : le roman de John King saisit une humanité déracinée. Malgré sa noirceur, Aux couleurs de l’Angleterre fait entendre une leçon simple et humaine sur laquelle peut-être un avenir se bâtira : « Il existe un lien entre les hommes qui ont vécu une même vie, quelque chose de tacite qui traverse les années. Quel que soit votre âge, jamais il ne s’efface. »