Connaissez-vous Falcó ? C’est le héros imaginé par le créateur du Capitaine Alatriste qui inaugura – à travers le roman éponyme paru en 2019 – une nouvelle série de romans-feuilletons prolongée par Eva en 2020 et Sabotage en 2021 (en attendant le nouveau titre du maître, Sans loi ni maître, à paraître le 6 mai prochain). Ex-trafiquant d’armes, membre d’un groupe clandestin nationaliste chargé des « opérations spéciales » durant la guerre civile espagnole, il est appelé à Salamanque par son supérieur, responsable du noyau dur de l’espionnage franquiste. Lorenzo Falcó se voit chargé d’une mission délicate : délivrer le fondateur de la Phalange, José Antonio Primo de Rivera, emprisonné à Alicante par les républicains qui l’avaient arrêté en mars 1936, avant même le coup d’État. Pour cette opération, il sera devra affronter autant les adversaires déclarés que les services rivaux au sein du camp franquiste tandis que nazis et agents du NKVD avancent leurs pions.
Autour d’un personnage de séducteur et de dandy sans illusions sur la nature humaine, mais moins cynique et plus romantique qu’il n’y paraît, Arturo Pérez-Reverte met en scène un trépidant roman riche en rebondissements, trahisons, doubles ou triples jeux. Dans Falcó, la guerre civile n’en est qu’à ses débuts (novembre 1936), mais elle ne laisse que peu d’espoir.
Fureur guerrière
L’auteur du Peintre de batailles offre une galerie de crapules, de cyniques, d’assassins et de tortionnaires face auxquels les idéalistes et les sincères font figures de victimes annoncées : «Falcó avait pu les voir, les uns et les autres, au moment du soulèvement national, s’affronter à coups de feu dans les rues : phalangistes, socialistes, communistes, anarchistes, qui s’entretuaient avec une admirable ténacité. C’étaient des jeunes gens courageux et déterminés, d’un bord ou de l’autre, qui parfois se connaissaient bien, d’anciens compagnons d’université, d’usine, habitués à aller voir ensemble un film, danser, boire un verre, liés aux mêmes amis, quand ce n’était pas à la même amoureuse. Il les avait vus tout faire pour se trucider les uns les autres, représailles après représailles. Tantôt avec haine, tantôt avec le froid respect envers un adversaire que l’on connaît et que l’on apprécie, bien que l’on ne soit pas dans le même camp. »
Il y a tout de même une différence entre ces « deux barbaries parallèles ». Non pas la « fureur guerrière », mais la méthode. Les franquistes pratiquent une répression planifiée, obéissent à un commandement unique et mènent une guerre totale contre la démocratie. De son côté, la République ne semble être qu’un « galimatias d’improvisation, d’opportunisme et de démagogie». La « haine homicide » d’un « peuple en armes, souverain dans le chaos » se retourne contre lui-même, dressant partis et factions – ne sachant plus s’il fallait gagner la guerre ou faire la révolution – les uns contre les autres. Malgré sa noirceur, Falcó offre au lecteur le plaisir d’un divertissement de haut vol au confluent du roman d’aventures et du roman d’espionnage.