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A l’ombre des filles, un film d’Etienne Comar

by Bruno del Puerto

Le chant libérateur

Pour son deuxième long métrage, Etienne Comar nous met dans les pas d’un chanteur lyrique en pleine crise professionnelle et surtout personnelle, occupant son temps en donnant des cours de chant dans une prison pour femmes. Sur le thème de la « libération » par le chant, le réalisateur de Django (2016) nous offre ici un film d’une rare émotion.

A l’ombre des filles, d’Etienne Comar
Luc (Alex Lutz) en pleine répétition © Charles Paulicevich

C’est presque un film vers lequel on va…à reculons ! Une prison pour femmes, un chanteur lyrique en plein burn out, avouez qu’il y a plus engageant ! Pourquoi alors, au bout de cinq minutes, le temps arrête de s’écouler ? Nous suivons Luc, ténor de répertoire plutôt baroque, entrant pour la première fois dans la prison pour femmes dans laquelle il s’est engagé à donner des cours de chant.

Rapidement nous allons découvrir, avec lui d’ailleurs, les éléments de sa future chorale.  Elles sont une petite poignée à s’être inscrite à cette activité.  Plein d’empathie pour ces détenues, Luc aborde son travail avec une infinie précaution, ne voulant pas ajouter à leur privation de liberté, les contraintes d’un maestro autoritaire.  Il faut tout de même chanter, ouvrir la bouche, respirer, émettre un son donné, ou à peu près. Même si elles sont toutes volontaires, leur premier son est « en dedans », coincé, meurtri, écho lointain de vies brisées.

Mais voilà, Luc est un vrai professionnel, il connaît tout cela pour l’avoir lui-même vécu, voire pour le vivre encore…  Petit à petit la glace se rompt et le chant se libère, les timbres s’affirment, les rythmes se calent. Malgré l’animosité qui sépare violemment parfois les participantes, l’alchimie libératoire opère. Et c’est magique ! Pendant ce temps, Luc suit son chemin de rédemption. Tout est lié. Un remord immense le fracture en permanence : la mort de sa mère, une femme qu’il a pratiquement ignorée malgré ses appels, pour cause d’emploi du temps dévastateur. 

A l’ombre des filles, d’Etienne Comar
© Charles Paulicevich

Porté par un Alex Lutz (Luc) littéralement éblouissant de sensibilité, ce film est traversé par les fulgurances de comédiennes (les détenues) fascinantes de réalisme : Agnès Jaoui, Hafsia Herzi, Veele Baetens, Marie Berto, etc. Tourné en format carré afin de mieux rendre l’enfermement de tous les protagonistes, à tous les sens du terme, filmé en argentique et non en numérique pour capter au plus près les expressions des visages et la texture des peaux, A l’ombre des filles est le fruit également d’un énorme travail documentaire en amont. En effet, Etienne Comar s’est rendu plusieurs fois à la prison pour femmes de Bapaume dans le Pas de Calais afin d’observer des typologies de détenues participant à une chorale. D’où certainement l’aspect quasi docu-fiction de son film. Précisons enfin que la bande-son ne fait appel à aucun play back, des répétitions intensives ayant été faites auparavant afin de désinhiber…tout le monde, du moins le plus possible ! 

Le résultat est sidérant. Un film d’une humanité bouleversante. 

Robert Pénavayre

Culture 31 • Cinéma

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