Six films américains à la Cinémathèque de Toulouse pour plonger dans l’œuvre de Tennessee Williams.
Enfant du Sud, Tennessee Williams grandit dans un contexte social dégradé. Il se lance dans l’écriture tout en exerçant divers petits boulots. Lorsque son scénario de « la Ménagerie de verre » est refusé par la MGM, il adapte le manuscrit pour le théâtre et connaît son premier succès. Après la réussite du passage au cinéma de « la Ménagerie de verre » (1950), réalisé par Irving Rapper, Tennessee Williams signe le scénario d’ »Un tramway nommé Désir » tourné en 1950 par Elia Kazan. Interprété par Vivien Leigh et Marlon Brando, le film connaît un immense succès populaire et critique. En 1956, Kazan puise à nouveau son inspiration chez l’écrivain pour « Baby Doll ».
D’autres grands noms du cinéma s’intéressent à l’œuvre du dramaturge: Richard Brooks réalise « la Chatte sur un toit brûlant » (1958) et « Doux Oiseau de jeunesse » (1961) ; Joseph L. Mankiewicz adapte en 1959 « Soudain l’été dernier », œuvre étouffante sur la folie ; Sydney Pollack jette son dévolu sur « l’Homme à la peau de serpent » (1960) et Sydney Lumet sur « Propriété interdite » (1965) ; John Huston tourne « la Nuit de l’iguane » (1963) ; Joseph Losey choisit d’adapter « Boom » (1967) ; Paul Newman réalise une nouvelle adaptation de « la Ménagerie de verre » en 1987, avec John Malkovich et Joanne Woodward.
Le théâtre de Tennessee Williams est peuplé de personnages en proie à la frustration devant la rigidité et le conformisme de leur environnement, en l’occurrence la société du Sud américain. L’Amérique découvre alors l’univers névrosé de l’auteur dans ces films qui osent aborder des thèmes jusque-là censurés par Hollywood, comme l’homosexualité. La réussite de la transposition de l’œuvre de Tennessee Williams au cinéma s’explique par la force des dialogues, parfaitement appropriée au grand écran.
La Cinémathèque de Toulouse programme six films tirés de l’œuvre de l’auteur, réalisés par Elia Kazan, Richard Brooks, Joseph L. Mankiewicz, Sydney Pollack et Sydney Lumet. Selon Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, «le cinéma hollywoodien des années 1950, en puisant à l’œuvre de Tennessee Williams, tendait à rompre avec sa période classique. Propulsé par Elia Kazan, c’est l’âge d’or de l’Actors Studio, l’arrivée sur le devant des écrans du réalisme américain – d’un réalisme à l’américaine. Et en guise de rupture, la naissance de nouvelles icônes.»
Formée à la «Méthode» (ou Method Acting) à New York, la comédienne et metteuse en scène Céline Nogueira explique: «Le réalisme est né à la fin du XIXe siècle du désir et du besoin d’un théâtre social et politique et d’un jeu qui rompt avec le romantisme. On ne déclame plus, on cherche l’intériorisation pour accéder à la véracité du sentiment et de l’expérience. Le personnage est en proie à des conflits humains intérieurs et extérieurs dans des contextes de changement social. On parle de jeu réaliste, parce que les personnages sont écrits par des auteurs dits réalistes, post-naturalistes ou modernes. Anton Tchekhov en Russie, Henrik Ibsen en Norvège, August Strindberg en Suède, Tennessee Williams et Henry Miller aux États-Unis questionnent les valeurs morales de leur temps et leurs personnages sont confrontés à un choix de vie.»
Céline Nogueira rappelle que «la technique utilisée est le “système” Stanislavski. Mais il a pu le développer grâce à Tchekhov, « la Mouette » notamment, qui révèle le drame non plus par les mots mais par ce qui n’est pas dit. La préoccupation du réalisme se concentre sur les conditions de travail, les relations conjugales, l’homosexualité, la solitude, la frustration… Il y a de la réminiscence dans le jeu réaliste qui flirte avec la mystique. Une mélancolie d’un passé heureux qui a du mal à perdurer dans le changement. Tennessee Williams décrit des épaves, des errances à fleur de peau, un immigré polonais, une femme chassée qui refuse de vieillir et d’admettre son penchant pour les jeunes hommes. Le réalisme montre la cruauté d’une société moralisatrice qui fait des monstres parce qu’ils n’y trouvent pas leur place.»
Céline Nogueira poursuit: «Dans « Un Tramway nommé Désir », par exemple, Brando fait de Stanley Kowalski un demi-dieu de beauté, et quand les acteurs veulent s’y frotter, ils veulent jouer “beau”. Mais si Brando fait de Stanley un demi-dieu de beauté, ce n’est pas parce que Stanley est beau, ou parce qu’il joue à être beau. Stanley est plutôt une brute de macho. C’est parce que Brando a cueilli toute la sueur de l’immigration au travail, la moiteur du sud des États-Unis, la promiscuité des corps et la frustration dévorante d’un homme en proie au dilemme moral, que Stanley devient sexy : il est humain. Mais on ne peut accéder à Stanley par l’extériorisation de l’ego, il faut d’abord se frotter au prix qu’il paye.»
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Du 14 au 30 avril, à la Cinémathèque de Toulouse