« Le Paquebot » de Pierre Assouline se déroule en février 1932. Le paquebot Georges Philippar s’apprête à prendre la mer en direction de Yokohama au Japon à 18 000 kilomètres de là. Pour sa première croisière, le navire de 172 mètres de long et de 20 de large, accueille notamment Jacques-Marie Bauer, libraire spécialisé en livres anciens. Ce dernier observe les autres voyageurs, dont une jeune fille mutine et magnétique, qui forment une micro-société cosmopolite et un « échantillon d’humanité » rassemblant quelques heureux du monde. Le voyage – « à la fois réunion mondaine, démonstration de force, villégiature intéressée, chambre d’écho, boulevard à ragots, outil de promotion culturelle pour l’armateur » – sera le prétexte à des conversations, des rencontres, des souvenirs et de libres évocations tour à tour légères ou profondes.
Avec son nouveau roman, Pierre Assouline décrit une Europe au bord du gouffre. La fin de l’après-guerre approche, mais peu de gens le savent. En Allemagne, Hitler s’apprête à prendre le pouvoir. Peut-on vraiment prendre au sérieux ce démagogue et ce fanatique ? Alors que l’humanisme n’est pas une valeur à la hausse, certains convoquent des vestiges du « monde d’avant », préfèrent « l’honneur et ses réflexes à la conscience et ses échappatoires ».
Humanité affolée
Le Paquebot n’est pas que le portrait d’une époque se dirigeant vers le naufrage. Le biographe de Simenon, Hergé ou Albert Londres (présent sur le Philippar et l’un des personnages clés du roman) s’amuse et le lecteur avec lui. Les passagers – touchants, snobs, ridicules – sont croqués avec jubilation. L’auteur de Retour à Séfarad et de Sigmaringen ne s’interdit pas les clins d’œil. Les dialogues et les formules font des étincelles : « elle n’avait jamais voulu d’enfant parce que l’enfant, c’était elle », « Rien n’est triste comme une maison de famille sans famille », « Il avait l’air amoureux de son déclin. Un peu comme l’Occident. », « A force de faire des citations, vous mourrez un jour d’une rupture d’aphorisme ! ».
Thomas Mann, Stefan Zweig, Flaubert, Hugo ou Cervantès s’invitent. Une nostalgie affleure face à « l’irréversible écoulement du temps ». La présence des morts et le métier de vivre doivent composer. Parfaite reconstitution historique, Le Paquebot est aussi un roman éminemment contemporain. Derrière le rythme du récit et la variété des situations, Assouline peint une humanité affolée, déchirée entre la pulsion de vie et la pulsion de mort. L’histoire continue…
Le Paquebot • Éditions Gallimard