Si Jean Rolin a reçu son lot de prix littéraires – Prix Nimier pour Journal de Gand aux Aléoutiennes en 1982, prix Albert Londres et Larbaud pour La ligne de front en 1988, prix Médicis pour L’Organisation en 1996, prix Freustié pour La Clôture en 2001 (on en passe) –, il n’a pas obtenu, à notre sens, l’audience que cet écrivain, l’un de nos plus fins stylistes, mérite. L’art et la manière de nombre de récits de Jean Rolin consistent à s’emparer d’un motif singulier, marginal, voire anecdotique, afin de l’explorer physiquement autant que littérairement. Dans Un chien mort après lui, il partait ainsi à travers la planète à la rencontre des chiens errants. Dans Peleliu, sorti en 2016, il se rendait sur cette petite île de l’archipel des Palaos dans le Pacifique, entrée dans l’histoire pour avoir été le théâtre de l’une des batailles les plus meurtrières, de septembre à novembre 1944, dans la guerre opposant les Etats-Unis au Japon.
L’auteur de Chrétiens ou Terminal Frigo y a donc séjourné en 2015 et en a ramené un bref ouvrage dans lequel il a consigné choses vues et choses lues. Impressions, anecdotes, rencontres, rappels historiques, digressions se chevauchent dans ce drôle de récit de voyage dont l’origine est une bataille qui « s’est avérée inutile, ou d’une utilité discutable ».
Magie de la littérature
Avec Peleliu, nous faisons la connaissance d’oiseaux, de poules, de coqs, de crabes, de bunkers, de trous inquiétants dans lesquels on peut se baigner, de zones à déminer, de bunkers, d’un flic d’Anchorage qui ressemble à Gene Hackman, d’arbres, de rochers, de chiots, de souvenirs de soldats, de couples de touristes russes ou tchèques…
Ce kaléidoscope, cet herbier, ce curieux mélange, Rolin le transforme en littérature par la grâce d’une écriture et d’une sensibilité qui avancent en liaisons et déliaisons. Comment fait-il ? Il y a là quelque chose de mystérieux ou de magique. Peleliu est une tranche de vie et d’humanité d’une saveur incomparable.