À Toulouse, seul sur la scène du Théâtre du Pavé, Denis Rey reprend son adaptation de « Gros-Câlin », premier roman d’Émile Ajar.
Premier roman publié sous le pseudonyme d’Émile Ajar par Romain Gary, en 1974, « Gros-Câlin » est l’histoire de Monsieur Cousin, un timide statisticien qui évolue dans un Paris trop grand pour lui. Parce qu’il vit seul dans cette ville, en proie à un gouffre affectif, il adopte un python nommé Gros-Câlin: «Lorsqu’on a besoin d’étreinte pour être comblé dans ses lacunes, autour des épaules surtout, et dans le creux des reins, et que vous prenez trop conscience des deux bras qui vous manquent, un python de deux mètres vingt fait merveille. Gros-Câlin est capable de m’étreindre ainsi pendant des heures et des heures», confesse M. Cousin – visiblement amateur de plaisirs onanistes.
Mais voilà, arpenter les rues en exhibant un tel animal n’est pas sans poser problème… idem pour la pauvre femme de ménage qui est confrontée au reptile sans avoir été informée au préalable. Quant aux voisins, ils doivent aussi s’accoutumer des échappées belles de la créature ! En mal d’amour, Cousin est dingue de Mademoiselle Dreyfus, «une Noire de la Guyane Française» et collègue de bureau. Il est persuadé qu’elle raffolera de la bête lorsqu’elle partagera sa vie…
Personnage à côté de ses pompes, décalé de la réalité de son temps et de ses contemporains, Cousin n’a de cesse de chercher sa place dans une société déshumanisée. Son récit est le témoignage humoristique d’un mal de vivre, une épopée tragi-comique du surplace que le comédien Denis Rey a adaptée et mise en scène. Créé à Toulouse, au Théâtre du Pavé en 2018, ce solo bouleversant est aujourd’hui repris sur la même scène.
Denis Rey se glisse avec gourmandise dans la peau de Cousin et de ses interlocuteurs, assumant les situations les plus improbables qui parcourent ce texte insensé et semé de surprises cocasses. Sans emphase, il prête sa modestie naturelle au narrateur qui, à la première personne, embarque l’auditeur dans l’univers «d’un homme qui soliloque pour combler le vide d’une existence absurde», précise le comédien.
S’appuyant sur une scénographie réduite à la présence d’une simple chaise, il insuffle à ces confidences une sincérité désarmante qui rend tout à fait crédibles les méandres d’une pensée maladroite et chaotique. Denis Rey fait de Cousin un homme attachant et digne, ancré dans un quotidien en friche mais avant tout encombré d’espoir. Esquissant quelques pas de danse, il réussit alors à transformer les frustrations de Cousin en fresque fantasque peuplée de promesses. Comme une ode à la différence.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Samedi 19 mars 2022