Accueil » « Une jeune fille qui va bien » de Sandrine Kiberlain

« Une jeune fille qui va bien » de Sandrine Kiberlain

by Administrateur

Sandrine Kiberlain, une jeune cinéaste qui va bien…

Entrance d’une réalisatrice qui avec plus de 60 films au compteur en tant qu’actrice fait aujourd’hui ses premiers pas derrière la caméra. Un  pari relevé haut la main pour Sandrine Kiberlain avec Une jeune fille qui va bien en avant-première à l’ABC de Toulouse.

Autant être transparente, j’ai passé la matinée à essuyer mon mascara sous mes yeux et à me moucher bruyamment. J’ai la chance de voir beaucoup de films. Certains me font me demander comment ils ont bien pu faire pour parvenir sur grand écran , d’autres sont oubliés sitôt sortie de la salle obscure, d’autres encore vivent à mes côtés pendant plusieurs jours, plusieurs mois …

Une jeune fille qui va bien m’a trouvée en fin de projection émue, touchée, muette et simultanément gonflée d’espoir pendant plusieurs heures. Je n’ai pourtant pas la réputation de pleurer facilement au cinéma, ni ailleurs d’ailleurs, mais ce premier long métrage de Sandrine Kiberlain a ébranlé une certaine vision d’une part  douloureuse de l’Histoire et de mon histoire. On ne perçoit pas nos morts vivants, nos morts sont morts, nous devons nous en souvenir éternellement, c’est un fait, une tragédie. Mais Irène elle, semble bien vivante, vibrante, libre. C’est ce qui permet au film de résonner universellement et intemporellement, au delà du rapport historique, au delà des 1H38 de cinéma. Le sourire d’Irène n’a pas de fin.

Paris, été 1942. Irène est une jeune fille juive qui du haut de ses 19 ans  s’empresse de découvrir le monde, l’amour,  cultive ses amitiés et sa passion du théâtre. Dans un climat d’insouciance lié à la fin de l’adolescence, Irène veut ignorer que le temps lui est peut-être compté.

« À ce soir ! » Une phrase qu’Irène lance chaque matin avant de quitter sa famille et dont chaque syllabe se disloque au fur à mesure que le fil de l’histoire et de l’Histoire avance. La voix s’éraille, le pas se fait plus lent, le retour plus incertain.

Irène personnifie le combat entre l’insouciance de la jeunesse dans un paysage historique et politique que l’on connaît bien et la conscience, dissimulée, tue, enfouie que la vie n’est décidément pas qu’un jeu. On assiste à une lutte acharnée entre les deux aspirations du  personnage  – servi brillamment par la jeune Rebecca Marder de la Comédie Française – tiraillé entre Eros et Thanatos, entre le principe de Vie et le principe de Mort, entre le désir de vivre et d’ignorer une inéluctable destinée et celui de se morfondre sagement en attendant l’éradication de la surface de l’univers.

Sandrine Kiberlain manie l’art subtil de la délicatesse quant au traitement du thème. Les sujets de  la guerre et de la déportation sont effleurés, embués par le flou assumé des des lunettes mal ajustées d’Irène, par le départ de Jo. La cinéaste questionne nos appréhensions.

Si j’avais du inscrire JUIVE en rouge sur mes papiers d’identité …

Si j’avais été Irène en 1942 … aurais-je fait comme Irène ?

Si je devais transmettre à mes enfants quelque chose de fort sur la judéité et la privation de liberté relative à cette même identité, je leur montrerais sans doute Irène …

Sandrine Kiberlain effrite les émotions au compte goutte, nous permettant de passer radicalement du sourire à la boule d’angoisse au creux du ventre, jusqu’aux larmes.

En mettant en scène cette famille si attachante, le rapport sublime au père, cette incroyable relation entre frère et soeur, les amourettes, les amitiés et la naissance du désir et de l’amour, Sandrine Kiberlain permet à Irène de vivre sa minuscule existence en accéléré, prise en étau entre le flot incessant des sentiments contradictoires et une foi en l’avenir sans faille.

Entre vitalité  et désespoir, le dosage et parfait. Irène vacille. Irène sourit.Irène espère. Irène se pâme. Irène aime.

Nous aussi.

Ce premier long métrage me semble une  occasion inespérée de transmettre aux jeunes générations la nécessité absolue du travail de Mémoire, à l’heure où les derniers rescapés des camps nous quittent. Nos enfants ne liront peut-être plus Le Journal d’Anne Frank ni ne verrons l’insupportable documentaire d’Alain Resnais Nuit et Brouillard mais ils sauront qu’Irène existe, et qu’elle n’a pas été qu’une, et qu’il faut se rappeler d’elle et répéter comme un mantra  réveillant en nous le « Plus jamais ça!  »

Karine Satragno


Articles récents