Voyage au cœur du poumon de la terre avec l’exposition « Oka Amazonie, une forêt habitée »
C’est un lieu lointain pour certains. Pour d’autres c’est le poumon de la terre. Depuis des millions d’années, ses terres sont habitées par les humains. Des indigènes qui au fil du temps ont du s’adapter à la colonisation et la transformation de leur culture. Ils ont partager leur terre avec les colonisateurs. Elle connait la déforestation, les incendies de feu, elle voit disparaître ses premiers habitants. Cette terre n’est d’autre que l’Amazonie. Le Muséum lui consacre une exposition nommée « Oka Amazonie, une forêt habitée » jusqu’au 31 décembre 2022.
Francis Duranthon, directeur du Muséum de Toulouse, conservateur en chef, explique les motivations qui ont poussé le comité scientifique du muséum à choisir ce thème : « Les raisons en sont nombreuses. Tout d’abord, l’Amazonie, poumon vert de la planète, point chaud de la biodiversité, cristallise toutes les inquiétudes liées au développement des activités humaines qui se font jour actuellement, avec l’érosion drastique qui affecte l’ensemble des espèces vivantes et la disparition des milieux naturels. Il s’agit aussi pour le Muséum de Toulouse de montrer tout le travail qu’il a engagé depuis de nombreuses années avec les cultures amazoniennes pour conserver et maintenir vivantes les pratiques traditionnelles de ces peuples qui participent de la diversité culturelle mondiale ».
Il poursuit : » Dans un monde qui se globalise, où la circulation des biens et des personnes est souvent la règle, les questions d’identité sont, à tort ou à raison, le point de cristallisation de nombreux débats. Ces questions sont au cœur des problématiques que rencontrent les habitants de ces territoires. Comment s’inscrire dans une tradition séculaire et dans une modernité imposée ou souhaitée? Comment conjuguer maintien des cultures traditionnelles et développement économique global ? Le territoire guyanais est la parfaite illustration de ces problématiques qui méritent d’être exposées, avec non seulement un point de vue occidental mais aussi en les regardant de l’autre côté du miroir, depuis le point de vue de ces peuples traditionnels. C’est tout le sens de la programmation que propose le Muséum tout au long de cette année amazonienne en permettant aux visiteurs de partir à la rencontre de ces Français du bout du monde, qui parlent des langues que nous n’avons jamais entendues mais qui sont aussi les enfants de la République. L’enjeu est de taille, son ambition peut apparaître démesurée: il s’agit de passer du « vivre avec » au « vivre ensemble ».
« C’est une rencontre intime et vivante »
Pour Isabel Nottaris, directrice adjointe du Muséum de Toulouse, « l’exposition « Oka Amazonie – Une forêt habitée » nous interroge: en quoi la connaissance des autres cultures peut-elle nous amener à déplacer notre point de vue? Comment appr éhender les cons équences de nos pratiques « par-delà la nature et la culture »? Comment dépasser l’idée de réparation ou de préservation pour appréhender celle de « co-opération »? Au travers du parcours muséographique, ce sont tous ces questionnements qui sont posés subtilement, de manière à ne pas réduire la place du visiteur à celle de témoin des choses, mais bien à celle d’acteur d’une réalité qui l’interpelle et le concerne. Ainsi, loin de présenter un inventaire de prétendues authentiques cultures régionales, l’exposition « Oka Amazonie – Une forêt habitée » se veut porteuse de connaissance et de reconnaissance ». Elle ajoute : « C’est une rencontre intime et vivante, une véritable interface pour comprendre les constructions des cultures amérindiennes du Brésil et de la Guyane et l’invention continuelle et actuelle de ces traditions. L’exposition « Oka Amazonie – Une forêt habitée » tend à rendre compte de cet entrelacement de proche et de lointain, de passé et de présent, d’interdisciplinarité, pour amener le visiteur par lui même à la démonstration que nous ne sommes pas prisonniers d’un seul point de vue. Les connaissances, les savoirs autant que les enjeux d’actualité de ces peuples amérindiens, nous appellent, nous invitent à la réflexion, comme autant de singularités qui font appel à notre universalité ».
Enfant tupi guarani, Brésil. Crédit : Filipefrazao – stock.adobe.com Carquois et fléchettes pour sarbacane, culture Tikuna, San Martin de Amacayacu, Colombie. Crédit : Daniel Martin/MHNT © Liliana Brel
Cette exposition semi-permanente s’étend sur 300 mètres carrés avec plus d’une soixantaines d’objets traditionnels – vanneries, poteries… Lors de ce voyage au l’autre bout du monde, le public pourra visiter trois partie bien distinctes lors de cette exposition. La première se consacre sur l’histoire et les origines des peuples amérindiens. Dans un une deuxième salle, le visiteur fait connaissance du savoir-faire ancestral et le rapport d’entretiennent les amérindiens avec l’environnement. Enfin, lors de la troisième partie, un focus est fait sur la Guyane française et les enjeux actuels auxquels est confrontée cette population. Ainsi, comme l’explique le muséum « un choc attend le visiteur dès l’entrée dans la première salle, le plongeant dans l’univers animiste, qui reconnaît une âme, une conscience, à chaque objet du monde matériel (animal, végétal, géologique). » Il ajoute : ‘D’une presse en vannerie, appelée « couleuvre à manioc », surgit en hologramme un anaconda, l’animal qu’elle symbolise. Les mythes des Amérindiens, racontent ainsi souvent comment les divers objets se sont transformés en divers animaux : dans ce cas, l’anaconda qui étouffe ses victimes rappelle la presse à manioc. Cette illustration rappelle que chez ces peuples, toute production, ou savoir-faire, est en lien et fait référence à la cosmogonie amérindienne. Dans leurs mythes, les techniques de fabrication des objets, les motifs qui les décorent, ont été enseignés à un ancêtre ou un héros culturel par une espèce animale. Ainsi, une projection montre également comment un motif observé sur des objets artisanaux est dérivé de l’image d’un papillon ».
Choc des cultures
Dans un court-métrage d’animation, les visiteurs peuvent faire la connaissance de deux personnages, l’un amérindien, l’autre occidental, expliquent leurs deux conceptions de l’univers, l’une animiste, l’autre naturaliste. Cette plongée dans un monde spirituel qui régit la vie des populations de toute l’Amazonie se poursuit par d’étranges petites scènes en ombres chinoises dévoilant des mythes qui expliquent l’origine des plantes cultivées, l’acquisition d’une technique de pêche très particulière ou l’apprentissage de motifs d’ornementation. Le visiteur, entouré d’objets comme des ustensiles de cuisine pour le manioc, des arcs et des flèches, des animaux naturalisés (toucan, singe hurleur…), un nécessaire de tatouage ou différentes coiffes, entre alors concrètement dans la vie de ces peuples de la forêt amazonienne. Dans un monde peuplé d’esprits, de mythes, de dialogues permanents entre l’homme et la nature.
Crédit Muséum de Toulouse /Christian NItard Crédit Muséum de Toulouse /Christian NItard
Une maquette à l’échelle d’environ 1/6e d’une maison traditionnelle guyanaise, un « carbet », apparaît soudain aux yeux du visiteur. Des objets en vannerie, des poteries, y côtoient de façon surprenante un écran plat de télévision. À l’extérieur, sur un fil à sécher le linge, pendent des vêtements occidentaux. Choc de deux cultures… Autour de ce carbet sont présentées des images d’objets du quotidien comparant la vie en métropole et en Guyane: lit – hamac, voiture – pirogue, piscine – fleuve, etc. La situation de la Guyane est particulière. Seule terre française, et même européenne, en Amérique du Sud, cette collectivité territoriale est isolée. La concentration de l’administration et des infrastructures sur le littoral contraste avec la situation des populations de l’intérieur, qui déplorent une faible présence des institutions publiques. De fait, si les amérindiens installés sur la côte vivent au contact de la vie à l’occidentale, ceux de la forêt en sont beaucoup plus éloignés. Ainsi, les jeunes de l’intérieur sont obligés de migrer de la forêt vers la côte pour étudier, vivant loin de leurs familles, avec toutes les conséquences d’un déracinement. Pour les enfants, qui ne connaissent que leurs langues natives, amérindiennes, l’entrée à l’école est souvent un échec. Les difficultés rencontrées pour les transports, l’accès aux soins et aux administrations… créent des tensions difficilement supportables pour beaucoup. Ce mal-être sournois frappe le visiteur au travers de témoignages poignants d’Amérindiens ne voulant pas renier leur culture ancestrale: « Être un Amérindien, pour moi, c’est pratiquer « son » amérindien, sa culture, sa tradition. (…) Même en se mettant au moderne, je resterai toujours Amérindien, je garderai toujours ma langue ».
Zoom sur la Guyane française
Le visiteur de « Oka Amazonie » touchera enfin du doigt, dans un troisième espace scénographié, au travers de films et de témoignages, la vision qu’ont les Amérindiens sur leur territoire et leur culture, sur les défis qu’ils ont à relever. D’abord économiques, mais également environnementaux. Au printemps 2017, les Guyanais avaient bloqué leur territoire pendant 5 semaines avant que le gouvernement ne leur concède une aide de 3,2 milliards d’euros.»
Aujourd’hui, le sujet majeur qui agite les populations est le projet Montagne d’or. Les photos, les documents présentés dans l’exposition, permettent de mieux appréhender les arguments des deux forces en présence, pour ou contre l’exploitation d’une gigantesque mine à ciel ouvert: les promoteurs du projet, qui mettent en avant les retombées économiques (vente du minerai, embauche…), et ses détracteurs, parmi lesquels un collectif d’associations amérindiennes et écologistes. Ceux ci dénoncent les risques environnementaux et la destruction de sites archéologiques précolombiens. Ils militent pour une autre utilisation des investissements publics prévus, tournés vers le développement d’activités économiques durables et respectueuses de l’environnement, comme par exemple l’éco-tourisme. D’autres projets cristallisent également l’opposition des autochtones, comme celui d’un forage français au large de l’embouchure de l’Amazone, ou la captation de terres amérindiennes au Brésil pour y développer des activités industrielles », conclut le muséum.