L’océan rédempteur
Xavier Beauvois est le cinéaste des films exigeants sur lesquels les cinéphiles se doivent de porter un regard affûté, au risque de passer à côté. Souvenons-nous du Petit lieutenant (2004) et du sublime Des hommes et des dieux (2010). Pour son dernier opus, le réalisateur nous fait partager le quotidien d’une gendarmerie de province, celle d’Etretat, où d’ailleurs de nombreux plans furent tournés, incluant des policiers dans leur propre rôle. Lors d’une longue séquence liminaire, Xavier Beauvois établit une sorte de panorama des activités de cette gendarmerie. Plus qu’un acte de punition, c’est un devoir de protection qui alors s’impose comme mission première face à des agressions sexuelles, des drames familiaux, des opérations de déminage et tout cela entre un suicide et un alcoolique à sortir d’un bar. Cela lui permet de nous mettre dans les pas du lieutenant Laurent.
Marié, père d’une adorable petite-fille, il fait son travail avec un engagement sans bornes. Connaissant personnellement tous les agriculteurs du coin, c’est justement face à l’un d’eux qu’il se trouve lors d’une nuit tragique au cours de laquelle Julien, paysan écrasé de dettes, est en passe de se supprimer, la gueule de son fusil pointé sous son menton. Pour éviter ce geste fatal, Laurent tire dans une jambe de Julien, stoppant in extremis le coup de fusil. Malheureusement une violente hémorragie va remplacer le coup de feu et tuer Julien.
C’est alors un autre film qui commence. Dans ce dernier nous suivons l’irrémédiable descente dans les enfers de la culpabilité de Laurent. Rétrogradé dans ses fonctions puis démissionnaire, Laurent décide de partir en mer, seul sur l’Albatros… Reviendra-t-il de ce voyage ? La scène finale relève-t-elle du plus pur onirisme ? Au spectateur de choisir. Dans tous les cas, le portrait que nous trace Xavier Beauvois de ce gendarme est certainement d’une profonde et douloureuse actualité. A l’image de celui de Julien, paradigme effrayant de la crise qui secoue l’agriculture française de nos jours. A noter que celui-ci est interprété, et de quelle manière (!), par un amateur recruté in situ, agriculteur de son état, Geoffroy Sery. Le moins que l’on puisse dire est qu’il envoie du bois !
A ses côtés, Jérémie Renier incarne le Laurent que l’on pouvait attendre de ce comédien tout en nuance, en introspection, ici formidablement émouvant. Encore une fois un film dérangeant mais qui creuse sans économie aucune les cruels stigmates de notre temps.