Naissance du Quatrième Pouvoir
Honoré de Balzac est à l’honneur via le cinéma en cette année 2021 avec dernièrement l’adaptation par Marc Dugain d’Eugénie Grandet et à présent ces troublantes Illusions perdues qui font un écho assourdissant aux débats actuels autour des médias.
Xavier Giannoli a décidé de porter à l’écran Un Grand Homme de Province à Paris, la seconde partie des Illusions perdues, vaste roman écrit par Honoré de Balzac entre 1837 et 1843, en pleine Restauration. Il nous met rapidement en présence du jeune Lucien de Rubempré, employé d’imprimerie en Province. Mais l’ambition de Lucien est de se faire publier car il a un vrai talent de poète. Pour ce faire et avec le bienveillant soutient d’une mécène, Louise de Bargeton (Cécile de France, une vraie porcelaine), Lucien monte à Paris. C’est dans un bistrot qu’il rencontre celui qui va devenir son mentor en journalisme, Etienne Lousteau (Vincent Lacoste). Ce dernier lui explique son métier, pour être clair, comment vendre ses papiers au plus offrant. Mais Lucien n’oublie pas son but principal : faire éditer son recueil de poèmes. Avec l’aide d’Etienne, Lucien s’introduit dans le cénacle de l’éditeur Dauriat (Gérard Depardieu, impérial…comme d’habitude). C’est là qu’il va faire la connaissance de Nathan (Xavier Dolan, oui oui, le cinéaste québécois !). En fait ce personnage est une compilation de trois figures du roman initial, ici un romancier croyant dur comme fer à son art. Il va devenir le narrateur de l’histoire. Lucien, dont les atouts ne sont pas que littéraires, va vite comprendre les règles du jeu, quitte à s’y brûler les ailes. C’est le début d’une course à l’abîme dans un Paris fait de tout et de rien dans lequel Lucien rencontrera l’amour mais aussi la trahison. Il sera au cœur de l’émergence du Quatrième Pouvoir, celui des médias car bientôt les premières rotatives vont faire leur apparition et les feuilles de choux vendues à quelques milliers d’exemplaires vont se transformer en tsunami de centaines de milliers de journaux colportant les nouvelles les plus fantaisistes et souvent mortelles. De la politique à l’économie, du théâtre à la science, du people de tout niveau à la finance, les plumes vont se durcir ou s’adoucir et s’aligner sur les règles du profit et des intérêts. Ici on va écraser une jeune comédienne, là faire s’effondrer un cours de bourse et ainsi de suite dans un capharnaüm de fausses nouvelles et, surtout, de manipulation de l’information. Nous savons tous aujourd’hui que le processus n’a fait que s’amplifier…
Mais revenons à notre film pour dire combien, malgré sa durée, il est une merveille de dialogues, de sens, de direction d’acteurs, de lumières, d’émotion aussi. Lucien sortira-t-il vivant d’une pareille rencontre entre une ville aussi toxique et ses ambitions premières flirtant sérieusement avec une certaine naïveté ? A propos de Lucien, c’est le comédien révélé par François Ozon dans Eté 85 : Benjamin Voisin, qui l’incarne avec ce sourire juvénile qui deviendra carnassier, ces yeux d’un azur qui durcira au fur et à mesure de son « initiation » aux arcanes du métier et aux coulisses d’une société sans aucune morale, une société admirablement figurée ici par une vipérine Jeanne Balibar en marquise d’Espard.
Le retour à nos classiques fait un bien fou !