Jean-Pierre Dujon-Lombard a fondé et dirige la Maison Criollo. Sur ces faits, on pourrait dire qu’il est chocolatier. Ce ne serait pas faux, mais étriqué au regard de la richesse de sa vision et de son investissement personnel dans son métier.
Armé d’une grande délicatesse, il raconte les événements, hasards et évidences qui l’ont conduit à se dévouer tout entier au travail du chocolat.
Où l’on apprend qu’au-delà du cacao et du savoir faire, un chocolat se compose de bonheur, de fierté, de souvenirs, d’amitiés, et même, de spiritualité.
A l’origine : retrouver le goût des pierres calcaires
« Mes arrières-grands-parents, originaires de Gaillac, étaient chanteurs d’opéra. Ils ont tourné dans toute la France avant de s’arrêter à Nice. Ma grand-tante y a épousé un coiffeur. Il avait acheté une petite cabane dans les vignes vers Opio, qu’il a transformé, petit à petit, en une belle maison de pierres calcaires. J’y allais, petit. Cet homme avait un talent fou, notamment pour le jardin : un jardin comme je n’en ai jamais vu. Il cultivait les framboises, les fraises, il me réservait les premières. Cette maison, c’était un grand bonheur. Elle a marqué mon enfance : la maison, les champs d’oliviers, les promenades parmi les pêchers. J’appartiens à ça. C’est mon souvenir mythologique. Je cours après ce souvenir. Mes chocolats aussi lui courent après.
Mon arrière-grand-père, aveyronnais, était carrossier -je parle là de vrais carrosses, en bois, tirés par des chevaux. Son épouse a acheté un théâtre. Pour la suivre, il est devenu confiseur : il a monté une roulotte et travaillé le sucre au crochet. La génération suivante a été absorbée par le théâtre, néanmoins, mes grands-mères cuisinaient très bien. J’étais proches d’elles.
Mon père était directeur de salle du restaurant L’Oasis de la Napoule, considéré alors comme le Bocuse de la Côte d’Azur. Il tentait, à la maison, de reproduire des recettes. Je suis d’abord devenu cuisinier, probablement pour régler quelques comptes avec lui. C’était une passion, mais je sentais que ce n’était pas mon métier. Je ne me trouvais pas assez bon.
J’ai un peu navigué. J’ai eu beaucoup de chance. J’ai pratiqué plusieurs métiers qui m’ont mené, petit à petit, au chocolat. Dont un : je vendais des machines pour l’agro-alimentaire. Certaines allaient chez les chocolatiers artisanaux. La première fois que je suis entré dans l’atelier d’un chocolatier a été une révélation. C’était mon métier, c’était évident. Je me suis dis : « Je lâche tout ! », quasiment immédiatement. Mais entre se former une vision et le courage de se lancer, il y a un delta. J’ai hésité un moment. Un jour, j’ai pensé : « Il faut que j’y aille. »
J’ai proposé à ma mère, qui s’était installée à Toulouse, un partenariat pour ouvrir ma première boutique. Elle m’a dit : « Tu t’y connais en chocolat ? ». J’ai dit : « J’ai une vision. La technique suivra. »
Quand je me suis installé, Monsieur Pillon venait de vendre. J’ai pensé : « J’ai une fenêtre de tir qui ne se représentera pas. » Nous nous sommes installés en deux mois.
J’ai bien crapahuté la première année. J’y ai laissé mes nuits. Pourtant, je n’avais aucun doute. Aujourd’hui, a posteriori, j’ai peur de ce que j’ai fait. Mais à l’époque, vous auriez pu me dire « Tu es fou, tu vas tout perdre, tu vas te tuer », je vous aurais répondu « Mais non, ça va marcher ». J’étais porté par quelque chose. »
Le chocolat est une quête de sens
« J’ai beaucoup donné au chocolat et le chocolat m’a tout donné. J’avais des relations difficiles avec mon père. J’en ai beaucoup souffert. Le chocolat m’a libéré de ça. Il m’a ouvert à quelque chose. Puis j’ai été pris par ma réussite. Je dis souvent à mes apprentis : « La plus belle des drogues, c’est de se retourner et de constater tout ce que l’on a fait ».
Le chocolat m’a rendu, aussi, mon jardin mythologique : la maison de mon oncle, mes champs d’oliviers et de pêchers. Cette beauté qu’il savait créer. La beauté et le soin du détail étaient essentiels pour lui. Je pense souvent à la chance que nous avons eu de connaître cet homme qui nous a montré le beau. Et ces trois sœurs, ma grand-mère et ses sœurs, qui nous ont montré le bon. Tout le monde n’a pas cette chance. Je mets tout ça dans mes chocolats. Je cours après quelque chose qui n’existe plus, mais je m’en moque. Il y a beaucoup de gens que j’ai beaucoup aimé, avec lesquels nous nous retrouvions dans cette maison. Cette maison fut et sera toujours magique. »
Le chocolat est une déclaration d’amour
« J’ai eu une famille atypique, constituée de femmes libres. J’aime les collaborations atypiques, et encore plus avec des femmes libres. Trois personnes ont beaucoup comptées. Sarah, propriétaire du restaurant l’Empereur de Hué, avec qui j’ai conçu certaines recettes, la plasticienne Sandrine Follère, qui a créé le design de certains de mes chocolats et des dessins de l’univers Criollo, et Christiane Tixier, pharmacienne et passionnée de l’Amérique Latine : son histoire, sa pharmacopée, ses cultures. Elle a travaillé avec moi sur cette dernière carte des saveurs. Ce sont des collaborations qui se sont faites naturellement.
Je suis persuadé que les femmes font mieux la cuisine que les hommes, y compris dans le cadre professionnel. Un homme chef cherche à impressionner quand une femme chef se concentre sur le plaisir qu’elle va offrir. Là-dessus, j’assume ma part de féminité. Je ne fais du chocolat que pour faire plaisir.
Ces trois femmes abordent leur métier exactement dans le même axe. Sarah est un chef qui a le sens de l’accord parfait. En musique, ce serait un grand chef d’orchestre. Sandrine a une vision de son métier très proche de ça, tout comme Christiane.
Toutes ces collaborations sont affectives. Sarah, Sandrine et Christiane sont des amies. En plus de son savoir, de sa perspective sur mon travail, Christiane, qui fut présidente de Club du Chocolat , m’a redonné un endroit. Je ne suis pas très voyage, mais elle n’a eu de cesse d’insister pour que je vienne passer des vacances chez elle, à Calella, en Espagne. Je ne m’attendais pas à y retrouver mes oliviers. Une certaine ambiance. C’est très rare, les gens qui vous redonnent un endroit, une place. Faire cette carte avec elle est une manière de lui dire tout ce qu’elle m’a donné. C’est une grande déclaration d’amitié. »
Le chocolat est une recherche perpétuelle
« Pour cette carte, Christiane a fait des recherches -ce qui est son activité préférée- sur la culture pré-colombienne. Elle a identifié les ingrédients indissociables de cette culture, la tomate, la courge, les graines comme l’amarante, le quinoa, le tournesol, le maïs, et les épices. J’ai essayé de trouver des univers possibles, et dans l’atelier, de faire des recettes convaincantes. Avec Christiane, nous avons longuement retravaillé les saveurs. Puis nous avons cherché les noms adéquats pour chaque chocolat.
Comme les cartes créées avec Sarah ou Sandrine, c’est une carte qui coupe. Elles sont très particulières, car elles changent nos habitudes, ceci pour toujours. Elles modifient notre ADN. Ces cartes sont des paliers d’évolution. Les collaborations ouvrent ma pratique et la modifient. Mon but premier est toujours d’apporter du plaisir et du bonheur aux gens. Mais cette carte, avec Christiane, me rappelle aussi que le chocolat vient de la culture pré-colombienne. Cette culture m’a donné mon métier. J’ai une immense respect pour ça.
Le chocolat est un patrimoine
« La première chose que je dis à mes apprentis est quelque chose que ma grand-mère m’a appris : on ne fait rien avec des ingrédients qui n’ont pas de goût, et ici, je parle de goûts essentiels. Chacun de nos chocolats a un goût très particulier, aucun ne se ressemblent. Ça paraît évident, mais ça ne l’est pas autant que cela, à l’époque des saveurs standardisés. C’est une prise de risque, mais c’est aussi ce qui a fait notre succès. J’essaie toujours de trouver l’équilibre dans mes chocolats. Tout est question d’équilibre, de dosage, de subtilité, d’élégance. J’aimerais léguer cela à mes apprentis.
A ma clientèle, j’aimerais transmettre un souvenir. Comme quand, enfant, on a le souvenir d’un bonbon. J’aimerais que dans trente ans, ils disent : « Tu te souviens de ces chocolats ? ». Ce jour là, je serais très très fier. Ce serait laisser une belle trace. Je n’aurais embêté personne pour le faire. Pourtant, j’aurais compté. »
Criollo Chocolatier
2 place Saint-Etienne • Toulouse
23 place Victor Hugo • Toulouse
Impasse des Albigots • Saint-Pierre-de-Lages
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Photos © Pierre Beteille